Tribune publiée dans Les Echos : « Comment financer la baisse des impôts de production »

On ne réindustrialisera pas la France sans baisser les impôts de production. Xavier Bertrand a annoncé vouloir les diviser par deux. Mais comment financer cet effort ? La solution pourrait être de réorienter la fiscalité de production vers la consommation. Tribune parue initialement dans Les Echos.

Tribune publiée dans Les Echos : « Comment financer la baisse des impôts de production »

Voir la tribune originale parue sur le site des Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-une-tva-relocalisation-pour-financer-la-baisse-des-impots-de-production-1306548

Voir la réponse de l'économiste Victor Fouquet, qui s'oppose à notre proposition dans une tribune argumentée : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-contre-la-tva-relocalisation-1309513

La crise du COVID-19 a enfin redonné toute sa place à la nécessité de redresser la production et l'industrie françaises, et donc la nécessité de réduire les impôts de production (72 milliards d'euros en France, soit sept fois plus qu'en Allemagne).

Dans le cadre du plan de relance, le gouvernement a engagé une baisse des impôts de production de 20 milliards d'euros, étalée sur deux ans. Une décision courageuse et bienvenue, mais qui présente deux inconvénients.

Tout d'abord, l'effort reste insuffisant : ramener nos impôts de production dans la moyenne européenne nécessite de les diviser par deux. C'est ce qu'a proposé récemment Xavier Bertrand, à la suite notamment de Rafik Smati. Surtout, la baisse engagée des impôts de production n'est pas financée. A ce stade, c'est d'autant plus le cas pour la proposition de M. Bertrand, qui écarte toute hausse d'impôt et évoque une réduction de dépense publique, laquelle reste incertaine et devra aussi financer d'autres priorités. Alors comment payer la facture ?

La France préfère taxer la production que la consommation

Notre fiscalité sur la production est parmi les plus élevées d'Europe, mais notre fiscalité sur la consommation compte parmi les plus basses ; notre modèle de croissance est porté par la consommation, moins par la production. Une situation qui contribue au déficit de notre balance commerciale.

Si nous voulons favoriser enfin le made in France, la seule solution durable est de réorienter une partie de la fiscalité sur la production vers la consommation.

En France, le taux normal de TVA s'élève à 20%, le taux réduit (ou intermédiaire) à 10%, le second taux réduit (ou super-réduit) à 5,5%. A titre d'exemple, les pays scandinaves, qui concilient modèle social généreux et compétitivité forte, misent davantage sur la TVA : taux unique de 25% au Danemark, taux normal de 25% en Suède, et de 24% en Finlande, avec des taux intérmédiaire et réduit supérieurs aux nôtres.

Evidemment, l'idée de financer un choc d'offre par une hausse de TVA n'est pas neuve, avec la proposition récurrente de « TVA sociale » finançant une baisse de charges sur l'emploi. La « TVA Relocalisation » est différente et bien plus efficace. Voici pourquoi.

Pourquoi une « TVA Relocalisation » est la meilleure solution

Augmenter de deux points le taux normal de la TVA (de 20 à 22%) rapporterait 15 milliards d'euros. Une hausse de trois points rapportant 22,5 milliards permettrait de compenser intégralement la baisse des impôts de production engagée par le gouvernement Castex. Une hausse de 5 points, qui nous mettrait au niveau des Etats scandinaves et rapporterait un minimum de 35 milliards, permettrait de financer intégralement une baisse de 50% des impôts de production pour revenir dans la moyenne européenne. Cette dernière proposition, la plus radicale, serait la plus efficace. Par souci de justice sociale, les taux intermédiaire, réduit et super-réduit resteraient inchangés.

On objectera vite que la TVA est un impôt non-progressif, donc socialement injuste : mais quelle pire casse sociale que celle engendrée par la désindustrialisation ? Nous donner les moyens de réindustrialiser nos territoires sinistrés, d'y sauver et recréer des emplois, permettra à des millions de Français déclassés de ne plus être perdants dans la mondialisation.

On objectera aussi qu'augmenter la TVA augmenterait les prix et casserait la croissance. Or, la baisse des impôts de production réduira le prix de revient de nos produits hors taxes, atténuant l'effet de la hausse de TVA sur le prix à la consommation. Dans un contexte d'inflation (encore) faible et de concurrence commerciale, l'impact final sur les prix sera d'autant plus limité.

Cette « TVA Relocalisation » permettra de faire contribuer les importations, et donc les producteurs étrangers, au redressement du pays. Elle permettra de favoriser la production française sans déroger aux règles européennes.

La TVA a un autre avantage : les touristes la paient ! Près de 90 millions d'entre eux ont visité la France en 2019, y dépensant des dizaines de milliards d'euros. Transférer la fiscalité de production vers de la TVA reviendrait à faire contribuer les touristes à notre redressement productif.

Autre avantage encore : les investisseurs cherchent la stabilité fiscale, et financer la baisse d'impôts de production par la TVA garantira cette stabilité. De même, la TVA ne pèse pas directement sur l'épargne, ni sur l'investissement.

Les baisses d'impôts de production engagées par le gouvernement et promises par Xavier Bertrand sont incontournables, mais risquent de rester lettre morte sans financement crédible. La solution la plus durable pour réussir ce pari, c'est de rénover notre logiciel fiscal.