Pourquoi Macron devrait s'intéresser aux réformes suédoises (24/10/17)
La Suède a appliqué il y a 25 ans des réformes difficiles ayant largement porté leurs fruits sur les fronts de l'emploi et des finances publiques dont la France devrait s'inspirer. En voici un résumé clair et accessible.
Au début des années 1990, la Suède était au pied du mur. Considéré comme « l’homme malade » de l’Europe du Nord, le pays dut affronter dans les années 1990 une crise extrêmement violente, conséquence entre autres du ralentissement de l’économie européenne, de l’éclatement d’une bulle immobilière qui entraîna l’effondrement du système bancaire et de l’impossibilité pour les Suédois de continuer à vivre au-dessus de leurs moyens.
Le taux de chômage grimpa à 9,1% en 1993, alors qu’il dépassait à peine les 1,5% en 1990. Tandis que le niveau de vie des Suédois menaçait de s’effondrer, le Gouvernement dut sauver les banques en urgence. Le financement de la protection sociale qui reposait sur une culture de la stabilité économique n’était pas préparé à un tel choc. La Suède était encore en excédent budgétaire en 1990, son déficit explosa à 11,2% du PIB trois ans plus tard. Dans la même période, la dette publique du pays passa de 44 à 70% de son PIB, conduisant les agences de notation financières à dégrader la note du pays, et les marchés financiers à augmenter brutalement les taux d’intérêt.
Conséquence du ras-le-bol des citoyens, le prestigieux SAP (Socialdemokraterna, sociaux-démocrates) qui dominait la vie politique depuis 1928 fut balayé aux élections d’octobre 1991 qui portèrent au pouvoir le Moderaterna (conservateur) Carl Bildt.
En s’appuyant notamment sur le rapport alarmiste de l’économiste Assar Lindbeck (théoricien du fameux principe insiders/outsiders), Bildt engagea une thérapie de choc parmi les plus ambitieuses de l’histoire économique récente. Sur les 113 propositions, souvent impopulaires, du rapport Lindbeck, 111 furent appliquées, le tout en un temps record.
Leçon suédoise pour les dirigeants politiques français : la méthode employée (vitesse d’exécution, coordination, refus de passer en force pour ne pas braquer l’opinion) a presque autant compté que les mesures elles-mêmes.
Sans entrer dans le détail des mesures techniques, voici les principales réformes menées par la Suède pour sortir de l’endettement et retrouver une croissance durable :
Garantir la viabilité à long terme du système social et repenser la nature même de l’État
- Donner au pays une stratégie qui prévoyait un retour rapide à un excédent budgétaire pour pouvoir investir dans l’avenir et éviter aux générations futures d’avoir à payer la dette des générations précédentes. Les collectivités locales ont été obligées de revenir rapidement à l’équilibre financier, l’État s’est engagé à stabiliser ses dépenses sur une base triennale glissante (ne pas dépenser une krona de plus sur 3 ans), les organismes de sécurité sociale ont été responsabilisés pour assainir leurs comptes
- Fixer des objectifs de performances pour les administrations publiques (APU), avec un contrôle systématique pour encourager les dépenses les plus utiles et éliminer les moins efficaces
- Se préparer aux nouvelles technologies : possibilité de numériser certains services et procédures pour limiter les déplacements des citoyens, de recourir à la médecine préventive, au télétravail pour les agents de l’État…
- Transformer les directions opérationnelles des ministères, qui dépendaient de l’État central, en agences autonomes chargées de répondre strictement aux besoins de la population, afin de réduire au maximum les coûts de fonctionnement
- Privatiser de nombreux secteurs comme la poste, l’électricité ou les télécoms qui pouvaient être assurés par d’autres acteurs que l’État : cette réforme a au départ indigné les Suédois qui y ont vu la mise à mort de l’État protecteur, elle a permis à terme d’améliorer la qualité du service public (innovation notamment en faveur de l’environnement, proximité, satisfaction des besoins) tout en diminuant les dépenses
- Dégager une marge suffisante pour faire face aux situations de crise sans compromettre l’indépendance financière du pays et revenir rapidement à la normale
Même après le retour au pouvoir du SAP, les réformes entreprises par leurs rivaux ont été poursuivies :
- Réduire le nombre d’agences nationales, parfois en les fusionnant, parfois en supprimant celles dont la tâche pouvait être assurée par le privé ou la solidarité citoyenne
- Regrouper administrations locales et régionales, même contre l’avis de certains élus locaux
- Tenir les objectifs fixés par le Gouvernement précédent, quitte à léser ceux qui s’attendaient à un relâchement de la politique de rigueur
Assumer des choix difficiles pour le redressement du pays
- Supprimer l’emploi à vie des fonctionnaires et leur donner le statut des salariés du privé, provoquant des contestations sociales rarement vues dans les pays du Nord connus pour leur culture de la stabilité
- Réduire leur nombre d’un tiers : à titre de comparaison, c’est comme si l’État français supprimait en quelques années plus d’1,9 million de postes, quatre fois plus que ce que promet François Fillon qui mettrait déjà du monde dans la rue
- Les rémunérer au cas par cas, selon leur travail individuel et non plus en fonction de leur catégorie : effet collatéral de cette réforme au départ imopulaire, la Suède est désormais l’un des pays où ceux qui travaillent pour l’État sont les plus respectés et où les critiques contre les fonctionnaires sont les plus faibles
- Réduire fortement les coûts de fonctionnement de la sécurité sociale en réduisant le nombre d’agents, en fusionnant les services et en responsabilisant les établissements, qui ont été décentralisés pour plus d’efficacité
- Recentrer certaines prestations sociales en direction des plus démunis (en revenant donc sur des acquis sociaux pour les citoyens plus aisés), et le remboursement des soins aux maladies et accidents qui ne relevaient pas de la « bobologie ». La « médecine de groupe » s’est généralisée
- Revoir complètement le système de retraite : l’âge de départ à la retraite dépend désormais de la pénibilité du métier, de la durée de la carrière, et suit les évolutions démographiques (espérance de vie, croissance de la population, vieillissement…). Les Suédois prennent leur retraite 3 à 5 ans en moyenne après les Français pour de meilleures pensions, mais bénéficient de conditions de travail plus souples dans leurs dernières années de carrière. Les réformes ont été lancées après la crise, mais dans la logique qui avait contribué à sauver le système social quelques années auparavant.
Entre 1991 et 1997, la Suède aura ainsi réalisé d’énormes coupes budgétaires représentant 12,5% du PIB (pour la France, cela représenterait pratiquement 300 milliards d’euros en 6 ans, 10 fois le budget de la Défense nationale par exemple). Concernant la réduction du nombre d’emplois publics, qui fait débat chez nous, celle-ci a été de…41%, tout en augmentant la qualité du service public.
Elle a augmenté certains impôts (surtout la TVA) et diminué ceux qui ont le plus fort « ressenti » pour les consommateurs (l’impôt sur le revenu) ou les entreprises (surtout les charges sociales) : résultat, une véritable bouffée d’oxygène pour la croissance, alors que le niveau de prélèvements obligatoires n’a baissé au total que d’1,4% du PIB. La fraude fiscale est devenue plus facile à détecter, tandis que les entreprises suédoises sont devenues parmi les plus compétitives d’Europe.
Alors que l’opinion s’attendait à des résultats immédiats du fait de l’ampleur des efforts consentis, ceux-ci ont mis du temps à se concrétiser. La dette continua d’augmenter à près de 73% du PIB en 1994, et le chômage touchait encore 9,4% de la population active malgré la reprise de la croissance, ce qui provoqua la défaite du parti de Carl Bildt.
Les résultats de la thérapie de choc suédoise furent spectaculaires. La dette reflua de 72,3% du PIB en 1996 à 53,8% quatre ans plus tard, faisant passer le pays d’une situation de quasi-faillite au stade d’économie parmi les plus sûres d’Europe. Le chômage qui avait atteint un record à pratiquement 10% de la population en 1997 recula à 5,6% en l’an 2000, soit le plein-emploi. La libéralisation de secteurs entiers de l’économie avec le souci constant de corriger les excès du marché, a permis de relancer l’activité. Après être remonté ces dernières années du fait du refus des emplois précaires, le taux de chômage repart ces derniers mois à la baisse alors que les salaires augmentent.
Aujourd’hui, la Suède connaît l’une des croissances plus fortes d’Occident (jusqu’à trois fois supérieure à celle de la France en 2016), et l’une des mieux réparties au sein de la population. La dette, qui se situe autour de 43% du PIB aujourd’hui est restée stable malgré le choc de la crise de 2008 et l’accueil de 163 000 réfugiés en 2015 (26 700 en France), accueil dont les conséquences sont trop complexes pour être résumées en deux lignes. Le gouvernement social-démocrate de Stefan Löfven table sur une dette publique de 35% en 2020 tout en augmentant les investissements dans la transition énergétique, la R&D et l’éducation.
Qui aurait pu imaginer, au moment où la Suède semblait n’avoir le choix qu’entre la faillite et l’appauvrissement, que ce pays deviendrait l’un des plus prospères et des plus sûrs d’Europe ? Alors que la doxa économique veut qu’il faille obligatoirement s’endetter pour sortir d’une crise, ou à l’inverse détruire la croissance et l’emploi pour limiter l’endettement, le pari de la Suède de tout faire pour éviter la faillite tout en relançant l’activité économique a prouvé qu’il y avait un troisième choix. Alors que la France hésite entre donner la priorité à la lutte contre le chômage et le déclassement, et au redressement de ses finances publiques, l’exemple suédois pourrait nous servir de référence.
Au-delà de leur aspect technique, ces réformes ont été rapidement menées par des majorités successives rivales sur le plan politique. L’opinion n’a pas été brusquée, mais constamment informée sur la situation du pays, la nécessité de certaines mesures impopulaires et les objectifs poursuivis. Comme au Canada, les gouvernements successifs qui ont sauvé la Suède de la faillite et de l'implosion sociale ont obéi à un principe simple : ne pas prendre les citoyens pour des cons. Car les Suédois, ou bien sûr les Allemands, Canadiens, Italiens, Britanniques et Espagnols, ne sont pas génétiquement plus réceptifs aux réformes difficiles que ne le sont les Français. La majorité de ces derniers a silencieusement pris la mesure de l'état catastrophique dans lequel se trouve leur pays, et aperçoit le mur vers lequel nous fonçons.
François Hollande, qui avait rapidement remisé au placard son programme de Gauche volontariste, a tenté de réformer par à coups, en faisant passer sous le manteau des lois dont les articles les plus impopulaires étaient abandonnés au fur et à mesure que se dissipait le rideau de fumée derrière lequel s'abritaient ses gouvernements. Son successeur jupitérien, élu sur un programme consensuel qu'il savait loin d'être à la hauteur, est lui aussi rattrapé par la réalité économique et financière du pays, et entend faire passer les réformes par la coercition, foudroyant depuis les hauteurs de l'Olympe ceux qui ne comprendraient pas la pensée complexe qui anime son action. Bien que la volonté y soit, cette méthode risque de se solder elle aussi par un nouvel échec. Le Président Macron peut tout à fait réussir dans l'intérêt national, c'est-à-dire celui des futures générations. S'il sait quoi faire, reste à repenser le comment faire. Le modèle suédois apporte des réponses, toutes centrées sur la notion de confiance.
La France ne pourra éviter une thérapie de choc de la nature de celle que se sont infligés les Suédois ou les Canadiens : les dirigeants politiques qui auront la responsabilité de mener ces réformes vitales au cours du quinquennat actuel, ou en urgence après la présidentielle de 2022, doivent intégrer eux aussi l'idée qu'on ne réformera pas la France en la combattant. J'ai résumé du mieux que je le pouvais l'ampleur des réformes réalisées par la Suède pour éviter le mur : pour résumer la méthode qu'ont suivi ses dirigeants, je dirais qu'ils ont osé prendre le risque de réformer leur pays avec ses citoyens et non contre eux. À nous de faire vivre un pacte national de confiance, entre les dirigeants et les électeurs, entre la dureté des réformes à suivre et les résultats que l'on sera en droit d'attendre d'elles, entre la violence de la conjoncture actuelle et la promesse de voir le pays renaître à l'horizon de quelques années. Sans oublier une dernière leçon : celle d'agir dans la vitesse. Prenons maintenant le changement par la main avant qu'il ne nous prenne tous à la gorge.