Pour « transformer » l'État, inspirons-nous du Canada !
La majorité au pouvoir parle de « transformer » l'État sans résultats concrets. Elle devrait s'inspirer des réformes radicales suivies par le Canada il y a 25 ans, et dont voici une brève présentation.
Les réformes suivies par le Canada dans les années 1990, quasi-inconnues en France, méritent d'être étudiées. Tribune publiée également sur le site d'Objectif France.
Comme l'écrivait il y a quelques mois un expert en politiques publiques auprès d'Objectif France, Thibault Hennion, la probabilité qu'une nouvelle crise financière éclate à court terme est grande. Nous courons le risque d'y perdre notre souveraineté budgétaire, alors qu'il va nous falloir d'énormes marges de manœuvre pour briller dans les nouvelles révolutions technologiques, renforcer notre sécurité intérieure et extérieure, et sauver notre système de protection sociale face aux défis à venir.
Il nous faut donc réinventer le plus vite possible le rôle et la place de l'État dans l'économie, au risque de devoir le faire en pleine saison des tempêtes. L'histoire récente est riche en exemples dont nous pourrions nous inspirer.
Le Canada, il y a 25 ans, était lui aussi menacé par le mur de la dette, à une époque synonyme elle aussi de changements profonds : ce pays a engagé une stratégie de réformes incroyablement courageuse pour s'en sortir. Comment ?
Contexte : une situation économique et financière morose
Dans les années 1990, le Canada était dans une situation très difficile. Après une longue stagnation, le pays entra en récession en 1991 (entre -2 et 2,5% de croissance du PIB), pendant que le chômage progressait rapidement (7,5% en 1989, 8,2 en 1990, 11,4 en 1993). La dette publique tournait autour de 100% du PIB en 1993, année où le déficit public plongea à 8%. La société canadienne baignait dans un certain mal-être ; les jeunes étaient sceptiques sur leurs chances d'avenir, la classe politique, discréditée, tenait un discours de résignation et les entrepreneurs regardaient vers les États-Unis en pleine renaissance économique.
Une thérapie de choc pour les finances publiques
Le 25 octobre 1993, Jean Chrétien remporta la majorité absolue lors des élections fédérales en ayant mis en avant son programme de sortie de crise qu'il avait longuement préparé depuis son accession à la chefferie (présidence) du Parti libéral en 1990. La priorité absolue de ce programme sans concession et expliqué sans langue de bois ? Réduire en urgence le déficit de l'État (8% en 1993, avec une dette publique entre 96 et 100% du PIB) pour retrouver à terme la croissance et la création d'emplois. Voici, résumée en cinq grands axes, la stratégie de réforme du Canada :
1 – Gagner en efficacité en transférant de nombreuses compétences (transports, culture, formation professionnelle…) aux provinces fédérées et en supprimant toutes les antennes locales qui « doublonnaient ».
2 – Réduire de plus de 20% le nombre d'agents publics de l'État fédéral (essentiellement par des non-remplacements de départs à la retraite). À titre de comparaison, c'est comme si la France supprimait 1 150 000 postes de fonctionnaires ou de contractuels en quelques années ! Le nombre de fonctionnaires stricto sensu passa de 250 000 en 1993 à moins de 200 000 5 ans plus tard. Leurs rémunérations furent aussi gelées temporairement, et les départs à la retraite anticipés furent encouragés.
3 – Réduire à 23 (contre 32 auparavant) le nombre de ministères fédéraux, et obliger les ministres à réduire de 20% les dépenses de fonctionnement de leurs ministères ; Jean Chrétien renvoya tous les ministres refusant cette stratégie.
4 – Baisser massivement le budget de tous les ministères fédéraux : près de -70% pour les agences régionales (un ministère devenu presque inutile), -60 pour les subventions industrielles (le gouvernement ayant préféré une politique de baisse des charges et de libéralisation pour les entreprises concernées), et entre 20 et 50% pour tous les ministères dont la mission était désormais assurée par les provinces ou les communes (Culture, Agriculture, Pêche, Environnement…). Seul le budget des Affaires Indiennes fut augmenté, au nom de la politique de soutien à la diversité et de protection des « Premières Nations ».
5 – Privatiser au cas par cas les entreprises publiques dont il était établi que l'État n'était pas le seul à pouvoir assurer la gestion. Les infrastructures par exemple sont désormais en bien meilleur état, et bien plus rentables qu'auparavant.
Outre une méthode de combat qui a porté ses fruits, trois grands principes ont guidé le redressement économique du Canada :
1 – Agir au cas par cas plutôt que de réaliser une baisse uniforme et aveugle de toutes les dépenses publiques : l'État canadien n'a pas pratiqué le general haircut et s'est concentré sur les dépenses inutiles. À Objectif France, nous défendons dans cette logique un plan d'économies majeures pour tous les postes de dépenses, mais nous prévoyons davantage de moyens pour les ministères régaliens (Justice, sécurité, Défense), la Santé et la Recherche.
2 – Choisir la prudent assumption, c'est-à-dire le fait de ne pas cadrer la politique budgétaire sur des prévisions trop optimistes. Les résultats de la politique de rigueur seront d'ailleurs sous-estimés par le gouvernement de Jean Chrétien, qui décidera de mettre de côté les surplus budgétaires pour les réutiliser en cas de crise. On est loin des débats sur la cagnotte fiscale, dont Rafik Smati a démontré l'absurdité.
3 – Oser une communication démocratique et transparente : le gouvernement a systématiquement expliqué ce qu'il faisait en matière de dépense publique ou de fiscalité, pourquoi il le faisait et pour quels résultats, présentant un calendrier précis des réformes à venir et des objectifs. Là où les dirigeants français ont la triste habitude de promettre des crédits supplémentaires ou des économies drastiques en fonction de leur interlocuteur, Jean Chrétien et ses ministres ont tenu le même discours ou qu'ils soient.
Malgré la prudent assumption, le gouvernement s'était au préalable fixé un objectif de court terme clair et « motivant » (réduire à moins de 3% le déficit en trois ans, ce que la France a fini par faire au bout de pratiquement dix ans), et un objectif de long terme auquel se tenir (retrouver l'équilibre budgétaire en six ans, ce que Gérald Darmanin et Bruno Le Maire n'oseraient même pas imaginer). Un cap donc, précis, ambitieux, qui conditionna toute l'action du Premier ministre et de sa majorité pour tenter d'obtenir enfin des résultats tangibles, ignorant les sondages et les polémiques stériles. Sachant que ce plan lui-même se jouait au-delà du mandat pour lequel avaient été élus Chrétien et son équipe. Rien à voir avec de la navigation à vue ou de la gestion à la petite semaine. Le gouvernement décida aussi de ne pas dépasser l'équivalent du niveau de dépenses publiques de l'année 1991 pendant cinq ans. Dire qu'en 2018 en France, la dépense publique aura encore augmenté de plusieurs milliards d'euros, une tendance qui devrait se prolonger sur le quinquennat…
Des résultats spectaculaires pour les finances publiques, mais aussi pour l'emploi
Le programme de Jean Chrétien, au moment de son élection, a déclenché d'innombrables critiques : « c'est impossible à réaliser », « l'austérité va tuer la croissance », «vle pays ne peut pas subir ça », « les libéraux n'arriveront pas à la fin de leur mandat ». Pourtant, cette thérapie de choc a porté ses fruits. Dès 1996, le déficit n'était plus que de 2,6% (respectant ainsi les objectifs de 1993), et il fut converti en excédent de +0,2% en 1997. La même année, la croissance atteignait les 4%, un taux jamais vu depuis des années et qui fut maintenu en 1998. La dette reflua à 82% en l'an 2000, contre 102% en 1996 !
Et contrairement aux prévisions des pourfendeurs de la prétendue « casse sociale » que devait susciter cette politique de rigueur, le chômage fondit comme neige au Soleil : après avoir atteint comme vu les 11,4% de la population active en 1993, il finit par s'établir à 9,1% en 1997, puis à un taux record de 6,8% quatre ans plus tard. D'autant plus que la majorité de ces emplois créés dans le secteur marchand étaient durables et qualifiés, et non des « jobs » précaires ou peu valorisants.
Une baisse substantielle de la fiscalité permise par les baisses de dépenses
Sans avoir eu besoin d'augmenter les impôts des ménages, le gouvernement de Jean Chrétien sera parvenu à dégager un excédent budgétaire pendant cinq années consécutives, alors que le pays était au bord de la faillite quelques années auparavant. Les charges des entreprises et les impôts des particuliers finiront par baisser de plus de 100 milliards de dollars (canadiens) de l'époque.
Avec la réduction du nombre d'agents publics, la part des charges salariales (en pourcentage du PIB) était passée de 15,5 en 1993 à 12,25 en 1997. Le montant des allocations sociales, mieux ciblées et moins nécessaires du fait du redémarrage de l'économie, passa de 13,29 à 11,38% du PIB sur la même période, et les transferts du gouvernement central vers les gouvernements provinciaux diminuèrent de 8,9 à 6,3% du PIB. Enfin, les nombreuses subventions que versait l'État fédéral diminuèrent de 1,76 à 1,06% du PIB, toujours entre 1993 et 1997.
En se réformant radicalement, le Canada a donc changé de paradigme : l'État n'est plus un pompier qui subventionne ou renfloue à tour de bras, car les entreprises ont davantage de marges pour progresser et les secteurs obsolètes ne sont plus maintenus sous respiration artificielle ; davantage de décisions sont prises au niveau local.
Dans l'intérêt de notre pays et des futures générations, aurons-nous l'audace de nous inspirer d'un tel exemple ?