Osons combattre frontalement l'entrisme dangereux d'Erdogan en France
M. Macron s'est élevé ces derniers jours contre l'ingérence d'Ankara en France. Les deux principales mesures annoncées par le Président pour faire face au « séparatisme » visent d'abord à contrer celle-ci. Mais les annonces du Président ne résoudront pas grand chose : l'enjeu est bien plus grave.
Emmanuel Macron s'est élevé ces derniers jours contre l'influence grandissante du régime d'Erdogan en France. Les deux principales mesures annoncées par le Président pour lutter contre le « séparatisme » (fin des « imams détachés » et fin des enseignements ELCO) visent notamment à contrer cette ingérence d'Ankara dans notre pays. Mais les annonces du Président ne résoudront pas grand chose, car l'enjeu est beaucoup plus grave. Voici pourquoi.
Pour des raisons électorales, Emmanuel Macron a décidé de s'emparer des sujets régaliens sur lesquels il a jusqu'ici fait preuve de faiblesse comme candidat puis chef de l’État.
En déplacement à Mulhouse, le Président a annoncé de premières actions pour lutter contre le « séparatisme ». Parmi celles-ci figurent deux mesures phares : la fin de l'accueil d'imams détachés (c'est-à-dire des imams envoyés par des pays étrangers pour officier en France ou former d'autres imams) et la suppression « partout sur le sol de la République » d'ici septembre 2020 des ELCO (Enseignements de langue et de culture d'origine, délivrés du CE1 au Lycée par des enseignants venus de pays ayant signé des accords avec la France et ne dépendant pas de l’Éducation nationale).
Ces deux mesures vont contrecarrer l'influence sur notre sol d'un État en particulier : la Turquie, ou plus précisément le régime islamo-nationaliste autoritaire qu'y a bâti Recep Tayyip Erdogan.
Le réveil d'Emmanuel Macron (et au demeurant des pouvoirs publics) face à ce défi est tardif, mais salutaire. Les annonces du Président sont un premier pas, notamment sur le terrain de l'enseignement où l'influence communautariste d'Ankara est devenue très préoccupante. Hélas, il s'agit de demi-mesures, du type de celles qui sont devenues la marque de fabrique de ce quinquennat. Surtout, l'enjeu est tellement grave qu'il nécessite une stratégie globale pour réimposer la cohésion nationale et les valeurs républicaines face au danger que font le régime d'Erdogan et ses réseaux dans notre propre pays.
Ce danger, c'est celui d'une stratégie d'infiltration et de déstabilisation menée par Ankara depuis 20 ans en France comme dans le reste de l'Europe.
Le but : favoriser le communautarisme, entraver l'intégration de Français d'origine turque ou plus largement de confession musulmane, peser sur notre vie publique, bref, fragiliser la concorde nationale et les valeurs républicaines.
Les moyens : des réseaux politico-religieux de plus en plus puissants, du lobbying et des campagnes d'influence à tous les niveaux, le maintien d'un contrôle étroit sur la diaspora turque en France, et une entreprise de séduction vis-à-vis des musulmans de France issus d'autres origines.
En voici une illustration dans les domaines de la religion et de l'éducation, où Emmanuel Macron a annoncé vouloir agir.
Comment la Turquie d’Erdogan cherche à contrôler l’islam en France
L'une des deux grandes annonces d'Emmanuel Macron, on l'a vu, vise à ne plus accepter « d'imams détachés » en France. Quel lien particulier avec la Turquie ? La moitié de ces imams détachés viennent de ce pays. Mais le problème est bien plus large : Ankara a acquis une influence gigantesque et protéiforme sur l'islam en France.
Dans le débat public, on associe généralement les tentatives de contrôle de la communauté musulmane française par des puissances étrangères (financements, prosélytisme, réseaux fondamentalistes…) aux pétromonarchies du Golfe comme l'Arabie saoudite ou le Qatar, ou aux Etats du Maghreb du fait du poids de l'immigration maghrébine en France.
Le rôle de la Turquie est plus rarement évoqué. Comparé à nos voisins germaniques (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) notamment, la diaspora turque n’a pas en France une place de premier plan, la prééminence des diasporas maghrébines s’y expliquant autant par le passé colonial que par la proximité géographique. De plus, la Turquie qui était encore il y a une vingtaine d’années un supposé modèle de laïcité et de démocratie aux Proche et Moyen-Orient, n’est pas forcément associée à l’islamisme ou aux actions violentes qui en découlent.
Mais la réalité a bien changé, et il nous faut vite changer de regard. Erdogan et son régime cherchent à contrôler l'islam en France pour y imposer des valeurs contraires aux nôtres.
Le régime turc actuel ne s’emploie pas seulement à contrôler les diasporas turques de France et d’autres États européens, il s’astreint à contrôler l’Umma (communauté musulmane) européenne, selon des objectifs et une stratégie qui nous sont dangereux. Par l’activisme de réseaux politico-religieux liés au pouvoir, ou d’organisations émanant directement de celui-ci, la démocrature d’Erdogan est également en train de devenir l’un des premiers soutiens étrangers aux réseaux islamistes de France et d’Europe.
Ankara est déjà devenu le premier acteur étranger – voire, sur de nombreux points, le premier acteur tout court – dans l’organisation et la vie de l’Islam français. Comme dit plus haut, la moitié des imams étrangers (les fameux « imams détachés ») en France sont des fonctionnaires de l’État turc (au nombre de 151), qui ne répondent dans les faits que de leur gouvernement dont ils suivent les directives. Alors que comme nous le verrons, nombre d’entre eux versent dans un discours hostile à nos valeurs, qu’ils se fassent les relais du régime d’Erdogan ou les porte-voix de l’Islam politique, ces responsables du culte sont souvent la partie visible de réseaux politico-religieux activement soutenus par Ankara.
Comme un symbole, la plus haute instance représentative de l’islam français, le CFCM (Conseil français du culte musulman), a été dirigée jusqu'en juin 2019 par un proche d’Erdogan, Ahmet Ogras, qui a imprimé sa marque au sein de l'organisation. Ancien dirigeant de la branche française de l’UETD (Union des démocrates turcs européens, officine créée sous l’injonction d’Erdogan pour tisser la toile de l’AKP et des organisations qui lui sont liées), Ogras s’est fait connaître par des déclarations ambiguës – notamment au lendemain du massacre de Charlie Hebdo – et apparaît comme un maillon des réseaux que la Turquie tente d’installer en Europe. Parmi ceux-ci, le Millî Görüs et la DITIB, dont l’influence devient aussi inquiétante que leurs orientations.
Millî Görüs, DITIB et Frères musulmans : les réseaux islamistes turcs s’installent en France et en Europe
Le Millî Görüs (« Vision nationale », en turc), créé en 1969 par un sympathisant idéologique des Frères musulmans, Necmettin Erbakan, est le premier mouvement islamiste de masse de la Turquie contemporaine.
Erdogan a milité très tôt dans cette mouvance, dont il est vite devenu un poids lourd, accédant à une notoriété internationale en ravissant la mairie d’Istanbul en 1994. Lui et ses compagnons de route ont ensuite donné à l’Islam politique turc un nouveau visage avec la création de l’AKP en 2001 : alors perçu comme modéré, notamment par la presse et les dirigeants occidentaux, l’AKP n’en restait pas moins un visage plus séduisant du Millî Görüs, dont il a mis en veilleuse les orientations jugées trop radicales que celui-ci a continué de diffuser jusqu’au sein des communautés musulmanes d’Europe et du Moyen-Orient, avec le soutien tacite du clan Erdogan. Les ramifications européennes de Millî Görüs, à commencer par l’Islamische Gemeinschaft Millî Görüs (IGMG, branche allemande du mouvement), se sont bien implantées sur le Vieux Continent comme en France.
Progressivement rattrapées par la DITIB, les branches européennes du Millî Görüs exercent une influence considérable sur les communautés turques les moins intégrées dans leur pays d’accueil, mais aussi sur de nombreux fidèles originaires d’autres pays, notamment du Maghreb.
Officiellement moins radical que par le passé, le discours politico-religieux du Millî Görüs bénéficie d’un vaste réseau de mosquées ou d’associations communautaires ; à titre d’exemple, c’est l’antenne locale de Millî Görüs qui est l’initiateur de la grande mosquée Eyyub Sultan dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, en concurrence d’ailleurs avec les activités de la DITIB dans le quartier d’Hautepierre.
Nombre de ces mosquées accueillent des prêcheurs radicaux ou sont liées à l’Islam politique : les concernés s’en défendent généralement en usant de la rhétorique victimaire qui fonctionne toujours auprès du « camp du Bien », mais comment expliquer qu’ Ibrahim el-Zayat, connu pour financer les Frères musulmans en Europe, y soit l’un des principaux responsables de Millî Görüs pour la construction et la gestion de mosquées ?
Le Millî Görüs est aussi affilié à des lobbies qui peuvent peser dans la vie politique des États européens. Le mouvement ne partage pas simplement une bonne partie des buts et idées des Frères musulmans : il partage plusieurs de ses réseaux européens avec les leurs.
Les Frères musulmans, qui rencontrent plus de déconvenues qu’on ne le croit dans le monde islamique, se tournent vers l’Europe avec la bénédiction et l’appui de la Turquie, qui les avait activement soutenus dans leur prise de pouvoir en Égypte en 2012, et a inspiré des formations fréristes telles qu’Ennahda, le parti islamiste tunisien. Cette proximité idéologique se retrouve dans les références intellectuelles de Millî Görüs Europe : Sayyid Mawdudi, Saïd Ramadan… ou Tariq Ramadan, fils du précédent. On ne s’étonnera pas de l’activisme des réseaux turcs dans la défense du théologien controversé face aux accusations de viols dont il a fait l’objet. Certains s’étonneront, en revanche, de voir à quel point des pourfendeurs habituels de « l’islamophobie » ou du supposé racisme d’État français sont menés en bateau par des officines proches d’Ankara.
Le Millî Görüs, en tant que réseau politico-religieux indépendant mais proche de l’AKP, qui n’a assagi son discours que dans le cadre d’une stratégie voisine des Frères musulmans auxquels il est lié, doit impérativement être mis en lumière dans le débat public, et combattu par les pouvoirs publics.
La volonté du régime turc de contrôler par la religion sa propre diaspora mais aussi les communautés musulmanes européennes, se prépare et s’opère surtout au travers de la DITIB (Diyanet Isleri Türk Islam Birligi, « Union turco-islamique des Affaires religieuses »), qui est la branche consulaire agissant à l’étranger de la Diyanet (Diyanet İşleri Başkanlığı, « Direction des Affaires religieuses »).
Créée en 1924 sous Kemal pour encadrer la religion et la tenir à l'écart du gouvernement, en faisant des affaires religieuses un service public, la Diyanet est devenue un instrument d'utilisation de la religion au service d'un pouvoir toujours plus confessionnel, et de prosélytisme sunnite en Turquie, au sein de la diaspora turque et semble-t-il auprès de communautés musulmanes étrangères. Dans notre pays, c’est la DITIB qui supervise les 151 imams fonctionnaires de l’État turc.
La DITIB, plus encore que le Millî Görüs, a également la main sur de vastes réseaux religieux et communautaires aux frontières des mondes associatif, culturel et politique. On constate depuis la vague de répression qui a suivi le coup d’État de 2016 que le pouvoir turc et l’AKP y mêlent des agents pour lutter contre les opposants au sein de la diaspora turque, ou contre les relais à l’étranger de l’opposition turque.
La France n’a encore jamais expulsé d’imam turc aux prêches radicaux et ne fait pratiquement rien pour lutter contre les dérives liés à l’entrisme et à l’expansion des réseaux de la DITIB. Lorsqu’en 2018, le gouvernement autrichien de Sebastian Kurz avait entrepris d’expulser des imams turcs radicaux et de fermer des mosquées financées par Ankara, Erdogan, en pleine campagne pour sa réélection, avait répliqué que la décision de Vienne entraînerait « une guerre entre les Croisés et le Croissant », selon une rhétorique dont sont coutumiers les médias fidèles à l’AKP, et qui rappelle surtout celle des djihadistes…
Au fur et à mesure que la DITIB et l’islam officiel turc gagnent en influence, de la vie communautaire locale jusqu’à la plus haute instance représentative du culte musulman depuis le passage d’Ahmet Ogras à la tête de la CFCM, une vaste organisation hostile à nos valeurs républicaines se construit. Là aussi, la menace est sans doute sous-estimée, y compris par Emmanuel Macron qui n'a pas fait d'annonces à ce sujet. Là aussi, la société civile et nos élus doivent se mobiliser, et nos pouvoirs publics agir.
Infiltration communautariste d'Ankara dans l'enseignement français : pourquoi le problème est grave et pourquoi Macron doit aller bien plus loin
Depuis les années 1990, les ELCO ont vite été soupçonnés dans certains cas de favoriser le communautarisme, les enseignants n'étant pas encadrés par l'Education nationale comme précisé en introduction. Depuis leur arrivée au pouvoir, Erdogan et son parti ont transformé les ELCO en véritables cours de propagande à destination de dizaines de milliers de jeunes Français d'origine turque ou Turcs installés en France. L'enjeu est devenu préoccupant.
Faute de personnel qualifié pour enseigner le turc – parlé par 200 millions de locuteurs à travers le monde sous divers dialectes, la France autorise la venue d’enseignants payés par l’État turc, qui sont de plus en plus majoritairement des militants de l’AKP voire des bigots formés à l’école coranique.
L’État turc emploie aujourd’hui 180 enseignants de langue et de civilisation turques exerçant dans des établissements français ou d’autres cadres d’enseignement, dont des mosquées gérées par la DITIB et le Millî Görüs. Ceux-ci sont de plus en plus étroitement encadrés depuis le coup d’État raté du 15 juillet 2016, et surtout de plus en plus utilisés comme agents du pouvoir.
La majorité d’entre eux « enseignent » la propagande de l’AKP, disposant des cours au contenu nationaliste et religieux qui nourrit chez leurs nombreux élèves une vision du monde de plus en plus inquiétante. Peut-on tolérer qu’un régime autoritaire profite de partenariats d’éducation pour délivrer à des écoliers français un message hostile aux valeurs républicaines et à la cohésion sociale, alors que la France a l’une des plus belles diasporas turques d’Europe ?
Jean-Michel Blanquer a déjà dénoncé, en mai 2019, les « gestes inamicaux qui nous viennent de la Turquie », sans expliquer clairement au grand public ce qu’il se passe depuis plusieurs années. Les annonces faites par Emmanuel Macron le 18 février 2020 sont prometteuses et permettront déjà de réduire l'influence d'Ankara auprès de dizaines de milliers de jeunes Français.
Mais cela ne suffira pas. Si nous voulons vraiment lutter contre cette infiltration du régime d’Ankara dans nos établissements scolaires, il nous faut engager une véritable politique d'assimilation : Objectif France propose pour cela des mesures fortes, seules capables d'améliorer la situation.
Face à la stratégie islamiste et communautariste d'Ankara, imposons une stratégie républicaine et assimilatrice !
Sur les imams détachés comme sur la fin des ELCO, Emmanuel Macron prend de premières mesures indispensables bien que guidées par des calculs électoraux.
Mais face à l'ampleur de la stratégie d'infiltration et de déstabilisation d'Ankara en France, la République doit mener sa propre stratégie globale pour restaurer partout la cohésion nationale et les valeurs républicaines, et tenir tête au sultan d'opérette qui défie aujourd’hui notre pays.
Comment agir : les propositions d'Objectif France sur la laïcité, l'immigration et l'assimilation.
Aurélien Duchêne