Le besoin d’un nouveau groupe aéronaval se fait de plus en plus urgent
La construction d’un nouveau porte-avions, voire de son sister ship, ne peut plus être reportée. Un tel projet est indispensable pour accompagner la remontée en puissance de notre aéromaritime, soutenir les opérations de demain et préparer les potentiels grands conflits d’après-demain.
La construction d’un nouveau porte-avions, voire de son sister ship, ne peut plus être reportée. Un tel projet est indispensable pour accompagner la remontée en puissance de notre aéromaritime, soutenir les opérations de demain et préparer les potentiels grands conflits d’après-demain.
Avec la mise en ATM (arrêt technique majeur) du Charles de Gaulle, la France perd momentanément l’un de ses atouts majeurs sur la scène internationale. Parmi les principaux avantages de l’armée française, qui permettent à cette dernière de conserver un rôle de tout premier plan et de conserver une certaine avance malgré les rééquilibrages à l’œuvre sur la scène militaire internationale, figurent justement notre capacité de projection (envoyer des forces sur n'importe quel point du globe) et notre capacité « d'entrer en premier » (notamment sur un théâtre africain) : sans porte-avions, ces capacités sont fortement réduites. Sans le "Charles", nous sommes obligés d'utiliser des bases aériennes ou des porte-avions alliés, ce qui limite notre autonomie de décision et nous oblige à renforcer notre empreinte au sol. Avoir un tel bâtiment est également déterminant dans les relations internationales : avec le départ du Royaume-Uni, la France est la seule nation européenne à pouvoir se targuer d'être une puissance militaire complète. Le Royaume-Uni entend d'ailleurs renouer avec son sea power historique en construisant deux porte-avions pour assurer une « permanence à la mer » que la France n'a plus depuis 25 ans. De la Chine à l'Inde, les grandes puissances ascendantes lancent dès maintenant de vastes projets de porte-avions pour s'affirmer dans les années 2030. Car entre le moment où un projet de porte-avions est mis à l'étude et le lancement du navire, il faut compter 10 à 15 ans. Le Charles de Gaulle sera désarmé d’ici 2041 à 2044, mais ses capacités se réduiront avant. Il faut donc travailler immédiatement au lancement de son successeur !
Sans porte-avions, les atouts militaires français sont très fortement réduits
La France est l’un des seuls pays au monde – bientôt le seul de l’UE avec l’imminence du Brexit – à disposer d’un modèle d’armée complet, en particulier dans le domaine maritime où très peu de nations possèdent navires amphibies, sous-marins nucléaires d’attaque et porte-avions. Surtout, nous sommes pour le moment les seuls avec les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie à conserver trois atouts décisifs. Le premier est notre capacité de projection, celui d’envoyer des forces sur n'importe quel point du globe). Le second est notre capacité « d'entrer en premier », notamment sur les théâtres africains. Le troisième est notre possibilité d’assurer des opérations sur de vastes échelles (ainsi de nos OPEX au Sahel) à des milliers de kilomètres.
Sans porte-avions, ces capacités sont fortement réduites. Sans le « Charles », nous sommes obligés d'utiliser des bases aériennes ou des porte-avions alliés, ce qui limite notre autonomie de décision et nous oblige à renforcer notre empreinte au sol. Il faut espérer que d’ici le retour au service actif du « Charles de Gaulle », nous n’ayons pas à faire face à des coups durs que nous ne pourrons peut-être pas gérer seuls. N’oublions pas non plus que la disponibilité d’un porte-avions tel que le nôtre avoisine les 60%, et elle se réduira dans les dernières années de vie du « Charles » : n’avoir qu’un porte-avions, c’est se priver de la « permanence à la mer » dont la France a besoin. Le Royaume-Uni, qui entend renouer avec son sea power historique en construisant deux porte-avions, s’est justement fixé pour objectif de retrouver cette permanence à la mer qui sera demain l’apanage des grandes puissances militaires. La Chine entend aligner quatre porte-avions d’ici 2025. L’Inde, qui n’est pas encore en mesure d’afficher de trop fortes ambitions, fera des porte-avions une composante majeure de sa stratégie de domination de l’Océan indien et de ses détroits.
Un projet financièrement soutenable et même rentable
Le coût d’un porte-avions de nouvelle génération tournerait autour de 4 à 5 milliards d’euros, ce qui semble intenable pour certains politiciens qui vu leur mode de pensée auraient été plus utiles à eux-mêmes et au pays s’ils avaient suivi une carrière d’experts-comptables. C’est oublier que le coût serait réparti sur dix ans. Dans le scénario médian d’un coût de 4,5 milliards d’euros, la dépense effective serait de 4,5 milliards d’euros par an, soit 0,02% du PIB et 1,5% de l’actuel budget de la Défense. Comparé au 1,7 milliard d’euros annuels que coûtera au minimum le service national envisagé par le Gouvernement (les investissements en infrastructures se révélant beaucoup plus chers), est-ce si cher que cela ? La France peut se le permettre ! L’acquisition de nouveaux hélicoptères et avions à déployer entraînerait un surcoût de 130 à 260 millions par an pendant 15 ans. À noter que ce chantier serait à moyen terme rentable pour l’État. Si comme le rappelle le général Vincent Desportes, chaque euro investi dans les équipements de Défense en rapporte entre 1,2 et 1,5, la construction d’un porte-avions exigeant sur le plan technologique aurait un effet de levier sur d’autres activités, et contribuerait à garantir notre maîtrise de savoirs-faire et de compétences industrielles primordiales pour l’avenir. Penser et construire un porte-avions parmi les plus sophistiqués du monde nous permettra d’entretenir notre autonomie stratégique y compris dans les industries d’avenir, et de garder une longueur d’avance sur nos rivaux (la Chine elle-même est loin de maîtriser un savoir-faire comme le nôtre). Lancer la construction d’un sister-ship immédiatement après la mise en service du nouveau porte-avions nécessiterait une phase d’études beaucoup moins longue : si une quinzaine d’années s’écoulera entre la mise à l’étude de notre prochain porte-avions et son admission au service actif, une dizaine d’années seulement seront nécessaires pour construire le suivant. À moins évidemment de bâtir les infrastructures qui nous permettraient de construire les deux porte-avions en même temps, comme nous le faisions dans les années 1960, ou comme l’a fait le Royaume-Uni plus récemment.
L’urgence du long terme : se préparer aux dangers des prochaines décennies
La construction de ce qui est devenu le Charles de Gaulle a été envisagée dès les années 1970. Le porte-avions a été officiellement commandé en 1986, les travaux ayant débuté l’année suivante pour s’achever en 1994. Le Charles de Gaulle fut armé en 2000, avant d’entrer en service en 2001. Entre la mise à l’études et le lancement de ce navire, la géopolitique mondiale a connu des retournements de situation spectaculaires, de l’effondrement de l’URSS à l’ascension de la puissance chinoise et des conflits du Moyen-Orient au 11-Septembre. Que se passera-t-il au cours des 10 à 15 ans que durera la construction de notre hypothétique futur porte-avions ? Sans doute bien des turbulences, qui convergeront, on peut l’imaginer, vers une immense tempête dans les décennies suivantes. Il n’est pas exclu que le monde de 2044, année où le Charles de Gaulle sera définitivement retiré du service, ressemble davantage à celui de 1944 qu’à celui de 1986. De grands conflits dans lesquels nous serons concernés de près ou de loin se feront peut-être jour avant : autrement dit, chaque quinquennat où la mise en chantier du « PA2 » a été repoussée a potentiellement contribué à mettre en danger notre souveraineté, nos intérêts et ceux de nos alliés dans un futur qui se jouera avec des moyens militaires dont la préparation se sera faite des années auparavant. Commander le successeur du Charles en 2019 ou en 2020, c’est mettre toutes les chances de notre côté dès 2035 ou 2040, en priant pour que nos futurs porte-avions soient de peu d’utilité dans un monde qui aura évité l’orage.
Naviguer dans le sens de l’histoire
Les porte-avions sont tout sauf dépassés, et garderont une place décisive dans les années à venir. Premièrement parce que l'échec des guerres expéditionnaires depuis 25 ans annonce peut-être le retour en force des stratégies de prépositionnement. Un acteur de plus en plus déterminant des relations internationales est la présence d'unités connues des États que l'on cherche à influencer ; de même, la présence d'unités et d'appareils de combats puissants peut être dissuasif pour des groupes terroristes ou séparatistes, et limiter leur liberté d'action. Promener un porte-avions revient moins cher que d'entretenir toute une base. Si nous considérons par exemple que la France doit avoir un rôle dans la pacification des pays francophones, et qu'il nous faut pouvoir intervenir de Chinguetti jusqu’à Lubumbashi, mieux vaut déplacer un porte-avions d'un bout à l'autre de l'Afrique plutôt que d'y défendre des bases aériennes partout. Nos bases aériennes autour des théâtres africains, de la Réunion à Djibouti en passant par Niamey et Fort-Lamy, et nos bases aériennes projetées comme celle que nous avons utilisée en Jordanie lors de l’opération Chammal, coûtent plus cher qu’un nouveau porte-avions. Leur emploi ne garantit pas toujours la confidentialité des mouvements aériens, problème qui va s’accentuer avec l’espionnage chinois en Afrique, et présente des inconvénients logistiques (carburant, munitions) et diplomatiques (les États hôtes peuvent exiger le départ de la France, ou être victimes d’instabilité politique). De plus, tout laisse penser que des intérêts vitaux de la France seront menacés dans la zone Indo-Pacifique où il nous faudra effectuer un important redéploiement de forces, quitte à passer le relais à nos alliés européens dans les TO proches de l’Europe lorsque le reste du Vieux Continent aura reconstruit un appareil de défense crédible.
Tout converge vers une exacerbation des tensions maritimes à l’horizon 2030-2040. À cette date, la France pourra pleinement bénéficier de son potentiel marin, des énergies renouvelables aux ressources minérales et halieutiques en passant par l’exploitation raisonnée des hydrocarbures. Mais notre domaine maritime risque d’être concerné par les prétentions d’autres puissances. De plus, il nous faudra garantir notre indépendance face au risque d’être entraînés dans un jeu des alliances désastreux, ou à l’inverse pour être en mesure de tenir tête aux capacités de contrainte de puissances aujourd’hui émergentes qui seront demain des puissances établies. Disposer de forces navales polyvalentes, où les porte-avions resteront un atout maître, sera dans tous les cas un impératif. Sans le Two-Ocean Navy Act de juillet 1940 qui leur a permis de préparer la guerre contre le Japon survenue un an plus tard, les Américains auraient mis des années à réarmer leur flotte face aux forces de l'Axe… et auraient peut-être du choisir entre le Pacifique et le front européen. De même, si en 1911-1914 Winston Churchill n'avait pas défendu envers et contre tout un renforcement à grande échelle de la flotte britannique et un investissement démesuré dans les navires de nouvelle classe et dans la toute jeune aviation militaire, la Première Guerre mondiale aurait peut-être eu une issue différente. Nombreux sont ceux qui dans les années 1910 sous-estimaient la dimensions mondiale (et donc maritime) du conflit à venir ; nombreux encore sont ceux qui négligeaient dans les années 1930 le rôle incontournable qu'auraient les porte-avions ; ceux qui sous-estiment en 2018 l'enjeu maritime et le besoin pour la France de renforcer sa flotte et ses forces aéronavales s'inscrivent dans le même état d'esprit.