La politique de Défense, première erreur du quinquennat Macron ? (21/06/17)

Malgré les promesses de campagne de Macron, les armées ne risquent pas de bénéficier des moyens supplémentaires qu'elles demandent. De quoi nuire progressivement au quinquennat Macron ?

La politique de Défense, première erreur du quinquennat Macron ? (21/06/17)

Malgré les promesses de campagne de Macron, les armées ne risquent pas de bénéficier des moyens supplémentaires qu'elles demandent. De quoi nuire progressivement au quinquennat Macron ?

Depuis au moins les traités de Westphalie de 1648, le maintien d’une force armée institutionnalisée et détentrice du monopole de la « violence légitime » est au cœur des prérogatives des États. Dans le cas de la France, on peut faire remonter ce phénomène aux XVe, XIIIe ou XIe siècles, un État proto-national s'étendant développé sous l'action essentiellement militaire des Capétiens directs. Le maintien d’un appareil de Défense puissant reste l’une des toutes premières responsabilités du Président de la République ; « le propre de la puissance est de protéger » (Blaise Pascal), et la sécurité figure désormais au deuxième rang des préoccupations des Français.

Les seviri augustales médiatiques qui ont transformé l’investiture télévisée du Président Macron en apothéose se sont extasiés devant le fait que le nouveau chef de l’État ait choisi de remonter les Champs-Élysées en empruntant un véhicule militaire (un camion ACMAT de fabrication nazairienne), invoquant à tout bout de champ les articles 5 ou 15 de la Constitution et allant jusqu’à faire un parallèle osé avec Bonaparte. Après que M. Macron soit allé rendre visite aux soldats en opération extérieure au Mali, certains ont voulu voir en lui le sauveur de l'armée française.
Pourtant, au-delà des symboles que l’actuel Président maîtrise bien mieux que ses trois derniers prédecesseurs, la gestion des armées abrite peut-être la première véritable erreur d’un quinquennat dont le premier mois a été apparemment réussi. Parce qu’il ne s’agit ni de petites phrases dont puisse se délecter la presse, ni d’affaires judiciaires ou de plans com’ mal géré, la politique de Défense intéresse peu ; on n’interroge pas la « grande muette ».

En parlant de symbolique, le fait d’avoir renommé, comme avant 1974, le ministère de la Défense en « ministère des Armées » peut se discuter : alors que les nouvelles menaces disruptives (hyperterrorisme, cybercriminalité, évolutions du crime organisé) caractéristiques d’un monde ouvert imposent de mélanger sécurité intérieure et opérations à l’extérieur, et que les menaces plus traditionnelles (provenant d’États aux ambitions hostiles) reviennent en force, abandonner le terme « Défense » n’a pas beaucoup de justifications, sinon celles de se démarquer et de flatter un électorat plus droitier. Là n'est pas la question.
Le « couac » tant recherché qui marquerait ce début de quinquennat résiderait-il dans la politique de Défense du Président de la République ?

L’héritage militaire du quinquennat Hollande
On se souvient que le Livre blanc sur la Défense de 2013, le fameux « LBDSN », avait acté la suppression de 24 000 postes supplémentaires entre 2014 et 2019, portant leur total à 34 000, l’accélération des non-renouvellements de matériel (y compris dans la Marine nationale, alors que la mer était considérée… comme un des principaux enjeux d’avenir), la fermeture de nouvelles bases, la dissolution de nouvelles unités, et la réduction des crédits dévolus à l’entraînement des soldats, désormais inférieur aux exigences OTAN. Le LBDSN, puis la LPM votée fin 2013, limitaient donc le nombre d’OPEX réalisables à six théâtre militaires d’envergure : deux en mer, trois pour les forces terrestres. Dans le cadre de sa politique de consolidation budgétaire, François Hollande envisageait de réaliser la plupart de ses économies en taillant dans le budget de la Défense.

Dans le même temps, M. Hollande lançait (à raison) plus d’opérations extérieures qu’aucun Président avant lui, malgré les mises en garde de l’État-major qui indiquait que les moyens financiers ne suffiraient pas en l’état. Ainsi de l’opération Serval au Mali en janvier 2013, fondue ensuite dans l’opération Barkhane de 2014 qui couvre une région du Sahel dont l’étendue est comparable à la distance Lisbonne-Moscou. Puis de Sangaris, en décembre 2013, suivie de Chammal en septembre 2014 et du renforcement de l’eFP à la frontière russe et du maintien de l’opération Daman au Liban.
Après les attentats de janvier 2015, le Président avait accepté une hausse de 3,9 milliards d’euros des moyens de la Défense d’ici à la fin de la LPM, en 2019, et le maintien de 18 500 postes sur les 34 000 qui seraient supprimés. En dépit de l’insuffisance de ce répit, Hollande décida aussi de l’opération Sentinelle, et ressuscita l’année suivante la Garde nationale disparue depuis l’écrasement de la Commune de 1871.

L’effondrement continu de notre puissance militaire depuis plus de 20 ans a été « gelé » par François Hollande ; réellement intéressé par l’armée, celui-ci a pourtant aggravé son état, en engageant toujours plus de missions alors que l’appareil militaire de la France est à l’os. Comme le note un rapport du Sénat, « l'armée française déploie aujourd'hui un total de 36 623 hommes dont 9 796 pour les OPEX multinationales, 3 503 pour les OPEX bilatérales, 6 293 pour les forces de présence et 17 031 pour les forces de souveraineté », largement au-dessus de ses moyens. Après que le général Pierre de Villiers soit sorti de sa réserve le 22 décembre 2016, réclamant que le budget de la Défense soit porté à 2% du PIB le plus tôt possible. Porter le budget de la Défense à 2% du PIB (hors pensions) fait partie des engagements des membres de l’OTAN. Mais au-delà de ces engagements, c’est une nécessité vitale pour l’entretien d’une des premières armées du monde. La plupart des dirigeants politiques négligent le fait qu’en-dessous de ce seuil, les urgences opérationnelles absorbent l’essentiel des crédits. Augmenter le budget de la Défense à 2% du PIB n’est donc pas « l’idéal » : c’est le minimum pour que les forces armées soient capables d’assumer leurs missions. Au-dessus de ce seuil, on retrouve suffisamment de marges pour préparer l’avenir, que ce soit en investissant dans la R&D et la régénération des effectifs et matériels, ou en anticipant les « coups durs » qui ne manqueront pas d’arriver dans les prochaines décennies. Actuellement, nous atteignons péniblement les 1,8%, en incluant les pensions de retraites (régime spécial), contre 3% au début du premier septennat de François Mitterrand et 2,5% au début de celui de Jacques Chirac. Jusqu’en 2015, la tendance était d’aller progressivement jusqu’à 1,5%. M. Hollande a indiqué soutenir l’idée que l’objectif des 2% soit atteint en 2022. Deux semaines après avoir renoncé à briguer un nouveau mandat…

L’insuffisance des objectifs d’Emmanuel Macron
Au cours de sa campagne, M. Macron a annoncé qu’il porterait le budget de la Défense à 2% du PIB en 2025, soit à la fin de la nouvelle LPM. Non seulement cet objectif est insuffisant, l’urgence nous commandant d’atteindre les 2% avant la fin du quinquennat au plus tard, mais le successeur de François Hollande reste enfermé dans le vide stratégique, en promettant le rétablissement d’un service militaire extrêmement coûteux sans prévoir de budget supplémentaire capable de financer celui-ci.

Un article de La Tribune paru début juin indiquait que Bercy comptait imposer au ministère de la Défense un gel de ses crédits de 2,6 milliards. Mme Goulard a affirmé qu’elle comptait défendre la nécessité d’une hausse de son budget au cours des négociations avec le Parlement et des prochains arbitrages ministériels. D’ici novembre, il faudra donc partir du fait que l’armée française verra à nouveau son budget gelé.

Si le ministère obtient gain de cause, l’augmentation de ses moyens sera ridicule. Mais le vrai problème réside bien dans l’action du Président lui-même, ou plutôt dans sa « vision » dont il a fait l’alpha et l’omega de sa campagne présidentielle. L’Armée française reste une variable d’ajustement budgétaire pour le gouvernement. Il n’y a pas de « vision » derrière une gestion à la petite semaine des forces armées françaises alors que se dessinent des horizons géostratégiques inquiétants, qui nous imposent des plans à 10, 15, 20 ans ou plus.

Un seul exemple suffit à s’inquiéter du déni de réalité militaire qui prévaut à l’Élysée, malgré la formidable intelligence et la hauteur de vue de son nouveau locataire. Si le Président décidait de lancer dès la fin de l’année des études pour un nouveau porte-avions de type Charles de Gaulle, la conception du bâtiment pourrait prendre jusqu’à quatre ans, la construction 10 ans (dans l’hypothèse où la France ne modernise et n’agrandit pas ses arsenaux ou même la taille de son principal port). Environ 10 ans durant lesquels il faudra investir chaque année la bagatelle de 400 à 500 millions d’euros, auxquels s’ajouteront les investissements nécessaires à la constitution d’un groupe aéronaval. Au moment où notre nouveau porte-avions entrerait en service, non seulement le Charles de Gaulle n’en aurait plus pour très longtemps, mais la France serait largement marginalisée sur le plan maritime. L’Inde, la Chine, ou même le Royaume-Uni, auront considérablement renforcé leur capacité de projection en mer au milieu des années 2020, après avoir lancé leurs programmes dans la première moitié des années 2010, voire avant. Le futur proche se jouera sur les mers, mais nous naviguons à vue.

Avoir des soldats surmobilisés sur de nombreux théâtres d’opération et un matériel utilisable à 50% menace jusqu’à notre autonomie de décision et à notre capacité de projection ; ne pas être en mesure d’assurer toutes les missions actuelles nous expose face aux menaces de demain, et nous fera perdre les guerres d’après-demain.
Reconstruire des forces armées pleinement opérationnelles et redonner de la profondeur stratégique à notre politique de puissance est un travail de longue haleine, qui doit débuter dès cette année si nous voulons obtenir des résultats dans les années 2020.

Emmanuel Macron a commis une erreur en sous-évaluant l’état d’affaiblissement de notre appareil militaire et en refusant de rompre avec la « logique » suicidaire des 20 dernières années ; il en commet peut-être une plus grande encore en écartant la remise à niveau de l’outil de Défense de son calendrier de réformes, qui court jusqu’en 2018. Si rien n’est fait en faveur de nos forces armées dans les prochains mois, nous pourrons considérer cinq ans à l’avance que le Président Macron aura échoué sur une de ses principales prérogatives, quelque soit l’étendue de ses réussites dans ses autres domaines d’action.