Aspects de la Nouvelle-France (10/02/17)
Une brève présentation de l'empire informel que la France tenta de bâtir en Amérique du Nord, de 1603 à 1763.
Une brève présentation de l'empire informel que la France tenta de bâtir en Amérique du Nord, de 1603 à 1763.
Les Français aiment évoquer le fait que Montréal soit la troisième ville francophone du monde, et que les rues historiques de New Orleans portent des noms français. Le Québec reste, dans l’imaginaire national, la « Belle Province » où le fleurdelisé flotte toujours sur les bâtiments officiels, témoignant pour certains d’une grandeur perdue, et pour d’autres de la dimension universelle d’une France qui conserve encore aujourd’hui des « confettis d’empire » sur tous les océans du monde. De l’expérience coloniale française en Amérique du Nord, l’historiographie traditionnelle fait pourtant peu de cas. Tout juste occupe-t-elle, dans les manuels scolaires, un paragraphe parmi d’autres dans les chapitres dévolus au Siècle des Lumières. La défaite traumatisante face à l’Angleterre a définitivement occulté le passé français du Canada et des États-Unis dans la mémoire nationale, et si l’épisode de la guerre de Sept Ans reste largement méconnu en métropole, le grand public en sait encore moins sur la Nouvelle-France elle-même.
Entre le mythe nationaliste d’une civilisation française rayonnante en Amérique du Nord, et l’idée plus répandue d’une Nouvelle-France qui n’aurait jamais existé que dans la tête des cartographes en lieu et place d’une Amérique restée sauvage, il appartient de comprendre quelles étaient les réalités humaines au sein des territoires sous influence française, et la nature politique de la Nouvelle-France. Cette dernière constituait-elle, comme l’écrivait Chateaubriand, un « vaste empire », ou, comme l’affirmait Voltaire, « quelques arpents de neige » sans grande valeur ?
Aux origines de la Nouvelle-France
Les débuts difficiles de l’Amérique française
Le malouin François Gravé « du Pont » (1560-1629) et son bras droit Samuel de Champlain (v.1570-1635) débarquent le 26 mai 1603 avec le reste de leur expédition au lieu-dit de Tadoussac. Ils scellent en quelques jours une « Grande alliance » avec la quasi-intégralité des tribus de la région aux cours de tabageries qui permettent à l’équipe de Gravé de trouver des partenaires commerciaux et d’inventorier l’espace. Les Français pensent alors se trouver sur le chemin de l’Asie qu’ils envisagent de rejoindre en passant par l’Acadie. Pierre du Gua de Monts (1558-1628), détenteur d’un monopole royal, tente d’y implanter une présence française durable en 1604 avec Jean de Poutrincourt (1557-1615) et Champlain. À la suite d’un hiver catastrophique qui emporte la moitié des 80 membres de l’expédition, une « habitation » finit par être érigée à Port-Royal.
Pendant que l’expérience acadienne connaît des débuts difficiles, Champlain croit de plus en plus à la possibilité d’une colonisation active du Saint-Laurent et entend dépasser l’objectif initial d’une simple exploitation économique. Alors que Québec, fondée en 1608, peine à dépasser la cinquantaine d’habitants et reste essentiellement un poste pour la traite des fourrures, il s’emploie à faire connaître en métropole le potentiel d’un Canada dont la colonisation serait vitale pour le royaume. De nombreux marchands de l’Ouest français prévoient d’y investir dans le commerce des fourrures, très rentable à court-terme, et font peu de cas des projets ambitieux de Champlain.
Richelieu créé en 1627 la Compagnie des Cent-Associés, ou Compagnie de la Nouvelle-France, dotée d’un capital d’environ 300 000 livres, qui bénéficie d’un nouveau monopole commercial de la part du roi. Les actionnaires conservent leurs privilèges d’ordre. Certains marchands seront même anoblis par Louis XIII, qui fait des espaces « sauvages » d’Amérique du Nord une seigneurie. Signe de son volontarisme et de ses visées à long-terme, Richelieu enjoint la Compagnie de faire venir, en quinze ans, plus de 4000 colons. À charge également pour les investisseurs de favoriser les missions de conversion des Indiens. Mais la même année, les Anglais lancent leur propre compagnie d’exploitation. Avec la bénédiction du roi Charles, le corsaire David Kirke attaque les rives du Saint-Laurent et obtient le 20 juillet 1629 la reddition de Québec. La ville ne repasse sous contrôle français que trois ans plus tard. Les années qui suivent voient l’installation d’agriculteurs autour de Québec, qui attire aussi de plus en plus de missionnaires. Des jésuites ouvrent un collège en 1635, permettant de resserrer les liens avec les Hurons au fil de leurs missions d’évangélisation. Sur le site d’Hochelaga, Paul de Chomedey de Maisonneuve (1612-1676) fonde en 1642 la petite colonie religieuse de Ville-Marie, future Montréal.
Mais les Iroquois, en guerre contre les Hurons, s’en prennent à leurs alliés français dont ils ravagent les établissements dès la fin des années 1640. À partir de 1660, ils derniers menacent dangereusement la vallée du Saint-Laurent. Pendant ce temps, la très forte croissance démographique des colonies anglaises, qui s’accompagne d’un développement économique accéléré, décide l’État central français à s’investir plus largement dans les colonies d’Amérique du Nord.
La prise en main du projet colonial par la métropole
La dissolution de la Compagnie par Louis XIV en 1663, ainsi que le rattachement des territoires explorés au domaine royal, actent la naissance de la Nouvelle-France en tant que projet politique. L’idée est désormais de développer une province française outre-Atlantique, à la tête de laquelle Versailles nomme un gouverneur chargé de conduire la politique régalienne et d’entretenir les relations privilégiées avec les tribus locales, et un intendant en charge du développement économique et des affaires judiciaires. Un conseil souverain aux prérogatives théoriquement proches d’un parlement de métropole assiste cet exécutif à deux têtes. Colbert aura à cœur de maintenir l’autorité royale sur la colonie, et d’empêcher tout processus d’émancipation vis-à-vis de la métropole. Nommé Intendant par Colbert en 1665, le champenois Jean Talon (1626-1694) s’emploie à attirer des familles au Canada, à diversifier l’économie encore précaire de la colonie, et à y installer l’autorité royale. La même année, le roi envoie le régiment de Carignan-Salières (1200 hommes) rétablir la sécurité des colons ; dès 1666, les Iroquois sont forcés à faire la paix, autorisant le développement de nouveaux établissements français et la reprise de l’activité commerciale, et une forte croissance démographique.
Les grandes extensions de la seconde moitié du XVIIe siècle
Alors que les établissements coloniaux gagnent en population et en activité économique, il reste à explorer la majeure partie du continent. La hausse de la demande en matières premières et en fourrures, le besoin de contrôler des territoires stratégiques avant les Espagnols mais surtout les Anglais, et la foi des missionnaires du Siècle des Saints motivent les nombreuses entreprises d’exploration de la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1671, le jésuite auvergnat Charles Albanel (1616-1696) convertit des tribus entières dans la région de la rivière Rupert et remonte jusqu’à la baie James, mais cette initiative ne débouche sur aucune tentative de colonisation du territoire, déjà disputé par les Anglais. C’est vers la région des Grands Lacs que se tourne le regard des explorateurs français. En atteignant plus au Sud le Mississippi dès 1673, le père Jacques Marquette (1637-1675) et l’explorateur Louis Jolliet (1645-1700) permettent de lancer des expéditions vers la future Louisiane. René-Robert Cavelier de La Salle (1643-1687) descend le Mississipi et explore activement la vallée du fleuve ; il mènera une tentative infructueuse de colonisation du Texas qui lui coûtera la vie. Au fil des expéditions, c’est un gigantesque territoire englobant le bassin du Mississipi, le pourtour des Grands Lacs, de l’actuel Minnesota jusqu’au Golfe du Mexique, qui passe sous influence française. Les coureurs des bois, entre aventuriers, marchands et explorateurs, s’enfoncent loin dans les terres occidentales où ils vont directement chercher les précieuses fourrures produites jusque-là par les autochtones ; les accrochages avec les pionniers britanniques et leurs alliés iroquois sont de plus en plus fréquents.
L’Amérique du Nord sous influence française
« Nous ne ferons qu’un peuple » : une société multiethnique et multiconfessionnelle ?
La Nouvelle-France se distingue des autres expériences coloniales sur le continent en ce sens que les relations entre autochtones et allochtones y étaient moins conflictuelles. Selon l’historiographie contemporaine, c’est un « monde franco-indien » qui naît des métissages entre les colons, leurs esclaves et les tribus amérindiennes, reposant sur une culture de l’entente et du compromis. Paternalisme colonial oblige, les alliés Indiens sont considérés comme les enfants du roi de France. Pour de nombreux canadiens, les natifs sont même des « frères », un terme que l’on ne retrouve pas du côté anglais, sauf sous la plume des pasteurs les plus universalistes. Il faut bien sûr relativiser l’idée d’une entente idyllique entre autochtones et allochtones : parmi les facteurs de cette cohabitation figure également la nécessité vitale et « frustrante » de garder de bonnes relations avec les Indiens. Si les colons conservent majoritairement un état d’esprit ethnocentriste qui les conforte dans leur idée de s’approprier les territoires des races inférieures, il leur faut composer avec les Indiens qui défendent leurs droits et imposent des compromis. Depuis la signature de l’Édit de Fontainebleau le 18 octobre 1685, les Protestants n’ont en théorie pas le droit de vivre au Canada, mais ils y sont moins persécutés qu’en France métropolitaine. Parmi les dignitaires religieux, les prêtres du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal ont, à titre d’exemple, un rôle de seigneur, mais n’ont un poids plus relatif qu’en France. C’est dans les territoires les plus reculés que les prêtres et missionnaires jouent un rôle spécial. Dans un environnement hostile, le prêtre est une figure instruite (plus qu’en métropole, car les missions exigent un haut degré de qualification) qui fait le lien entre les deux mondes, garde soudée une communauté dont il est souvent le seul lettré, et fait office de médiateur au cours des inévitables accrochages entre des colons. Les missionaires facilitent à la fois l’entente avec les Indiens pour le commerce des fourrures, et la préservation des alliances avec eux.
Du sous-peuplement initial à la forte croissance du XVIIIe siècle, une population qui reste relativement faible
Au moment de la création du Gouvernement royal de la Nouvelle-France, on dénombre à peine 2500 à 3000 colons au Canada, 400 en Acadie (en partie occupée par les Britanniques depuis une vingtaine d’années), 80 en Terre-Neuve. L’écrasante majorité de ces derniers sont des hommes installés récemment. Il faut donc recourir à une politique d’émigration massive. Parmi les mesures prises par Versailles, l’envoi des Filles du Roy, jeunes femmes célibataires, permet de rétablir un certain équilibre entre les sexes et d’augmenter substantiellement le taux de natalité. Les incitations à l’émigration vers les colonies permettent l’installation de 2000 nouveaux venus en moins de 10 ans. Un tiers des soldats du régiment de Carignan accepte de rester au Canada. Résultat de cet effort, la population du Canada français atteint à peu près 10 000 habitants vers 1685. Alors que les colonies anglaises, au même moment, deviennent dix fois plus peuplées... Au début du XVIIIe siècle, la vallée du Saint-Laurent abrite autour de 16000 colons d’origine française, pour l’essentiel des Français de l’Ouest. Soixante ans plus tard, les neuf dixièmes des 90 000 Français d’Amérique du Nord vivaient dans la région. Au même moment, sur un espace beaucoup plus réduit, les colonies britanniques concentrent vingt fois plus d’habitants le long des côtes. Des villes comme Boston, New York ou Philadelphie surpassent largement Québec, Montréal ou la Nouvelle-France en termes de population. Elles sont défendues par d’importantes garnisons fournies par la métropole.
Les singularités économiques de la Nouvelle-France
Le projet colonisateur royal repose au départ sur une logique mercantiliste : à l’instar des Espagnols, les dirigeants français veulent s’approprier des réserves de métaux précieux pour soutenir une politique monétaire dirigiste. Colbert, pour qui le jeu économique international s’apparente à une « guerre d’argent », imaginait faire de la Nouvelle-France un vecteur d’autonomie économique de la France. Si les rumeurs faisaient état de mines d’or et d’argent dans la région, le ministre de Louis XIV s’intéressait également aux vastes forêts du Canada : alors que la production française de bois est peu compétitive, les nouveaux équilibres géostratégiques et les mutations de l’économie-monde obligent la monarchie française à financer une flotte capable de tenir en respect les autres puissances de l’époque. L’appareil productif de la Nouvelle-France repose en large partie sur l’agriculture qui emploie la plus grande partie de la population (ainsi que de nombreux esclaves africains en Louisiane, certes moins présents qu’aux Antilles). À partir de 1713, on constate de larges progrès dans le monde rural, notamment du fait d’une hausse continue de la population dans les seigneuries qui bordent le Saint-Laurent. La traite des fourrures est toujours l’un des piliers de l’économie de la Nouvelle-France, et motive en grande partie l’exploration de nouveaux territoires, avec le besoin de gagner des terres agricoles et de contrer la pénétration anglaise. Seul un cinquième à un quart de la population, cependant, participe à la traite des fourrures à un moment donné. L’économie de la Nouvelle-France est davantage tournée vers la mer que celle de la métropole. Ainsi, la pêche à la morue représente-t-elle l’activité la plus importante de Terre-Neuve. Les pêcheurs, descendant la plupart du temps de familles de l’Ouest français, ne viennent qu’au cours des saisons poissonneuses, mais des populations sédentaires finissent par s’installer dans la partie méridionale de l’Île. À Saint-Jean d’abord, puis surtout à Plaisance, des dizaines de familles forment des communautés soudées. Cependant, les Anglais entendent eux aussi profiter des richesses halieutiques de Terre-Neuve. À la fin du XVIIe siècle, ces derniers ont une trentaine d’établissements sur l’île dont ils obtiennent la souveraineté après le traité d’Utrecht du 11 avril 1713. La perte de Terre-Neuve, si elle constitue un traumatisme pour de nombreux colons, ne signifie pas pour autant l’extinction de l’économie de pêche dans la région. L’économie maritime est cependant bien plus développée au sein des colonies anglaises du littoral : le contrôle de l’Atlantique sera un facteur déterminant pour l’issue de la guerre qui se profile.
La Guerre de Sept Ans et la fin de l'Amérique française
Contexte géostratégique à la veille de la « Guerre de la Conquête »
En 1754, les relations entre les deux ennemis héréditaires que sont la France et la Grande-Bretagne semblent au beau fixe. Quarante ans plus tôt, la cession de Terre-Neuve et de l’Acadie à la couronne britannique au traité d’Utrecht (11 avril 1713) avait laissé de douloureuses séquelles dans la mémoire des colons de Nouvelle-France, mais les deux puissances avaient combattu ensemble lors de la Guerre de la Quadruple-Alliance de 1718-1720. Insuffisant cependant pour effacer des siècles d’antagonisme entre deux nations qui se détestent à tous les degrés de la société. Les canadiens vivent avec la menace d’une invasion de leur colonie par les troupes anglaises qui avaient déjà enlevé la forteresse de Louisbourg, clé de la Nouvelle-France, en 1745. En 1690 déjà, Frontenac avait dû organiser une défense déterminée face à la tentative d’invasion anglaise du Canada, alors que les Iroquois ravageaient les établissements français, poussant les canadiens à saccager la Nouvelle-Angleterre une dizaine d’années plus tard. L’Atlantique nord et ses richesses halieutiques concentrent les convoitises des deux métropoles. À l’intérieur des terres, la pénétration britannique se heurte à la présence française. Entre les deux empires, la montée des tensions se mesure sur le terrain où les colons sont indifférents à la ligne d’apaisement poursuivie par Versailles et Londres.
Les différentes phases du conflit en Amérique du Nord
Le 28 mai 1754, après plusieurs mois de crise dans l’Ohio, une fusillade éclate entre la petite garnison commandée par Joseph Coulon de Villiers (1718-1754), sieur de Jumonville, tué au cours de l’échange, et un détachement commandé par un certain George Washington (1732-1799), rapidement désigné comme responsable de cet accrochage. « L’affaire Jumonville », considérée comme un nouveau crime de la Perfide Albion, met le feu aux poudres. Après les combats de la Belle Rivière, les dirigeants français qui craignent d’avoir à mener une guerre déséquilibrée qui tournerait immédiatement à l’avantage des Anglais, dont la supériorité numérique reste écrasante dépêchent des troupes pour défendre les colonies. Dans un premier temps, le volet américain du conflit semble tourner à l’avantage des Français et de leurs alliés amérindiens. Pour les Anglais, la campagne dans la Mal-Engueulée tourne au désastre. Si à Fort Beauséjour, en juin 1755, ou au lac George en septembre de la même année, la supériorité numérique des Anglais leur permet de l’emporter, les batailles de la Monongahela (9 juillet), Petitcoudiac (3 septembre) et l’année suivante Fort Bull et surtout Fort Oswego (10 au 14 août 1756) sont autant de victoires françaises. Alors qu’en Europe, la situation apparaît plus indécise, la bataille de Fort Carillon, remportée par Louis-Joseph de Montcalm (1712-1759) le 8 juillet 1758, est un succès éclatant pour la France, et évite à Québec et Montréal la perspective d’une attaque anglaise. Mais à partir de 1759 (désastre français de Fort Frontenac en août 1758), la situation tourne définitivement en faveur des Britanniques, qui dominent l’Atlantique et peuvent se permettre d’acheminer toujours plus de renforts là où la France, dont la flotte est loin de faire le poids, est contrainte de mobiliser de gigantesques effectifs sur le Vieux Continent. De plus, les troupes régulières anglaises, parfaitement épaulées par les milices coloniales et par les volontaires de Nouvelle-Angleterre, savent mieux s’appuyer sur la population des Treize Colonies – infiniment plus nombreuse que celle de la Nouvelle-France. Se méfiant des Acadiens qui ont proclamé leur neutralité dans le conflit, les Anglais n’hésitent pas, en 1755, à déporter la population de la colonie : au cours du « Grand Dérangement », seuls 20% des Acadiens parviendront à se réfugier dans les colonies françaises, dans des conditions dramatiques. La seconde bataille de Louisbourg, en 1758, laisse le champ libre à une invasion du Canada, dont la population commence à subir des privations de plus en plus lourdes. La Bataille des Plaines d’Abraham, sous les murs de Québec assiégée, le 13 septembre 1759, scelle le sort de l’Amérique française. Montcalm y trouve la mort, de même que le talentueux général anglais James Wolfe. Après quelques affrontements qui se soldent parfois par de maigres victoires françaises (Sainte-Foy) en 1760, Pierre de Rigaud de Vaudreuil-Cavagnial, le gouverneur de la Nouvelle-France retranché à Montréal, capitule le 8 septembre.
La disparition de la Nouvelle-France
Le traité de Paris du 10 février 1763 signe la fin de l’aventure coloniale française en Amérique du Nord. Mis à part la Louisiane qui passe sous souveraineté espagnole, et que Napoléon finira par revendre aux jeunes États-Unis en 1803, c’est l’ensemble de la Nouvelle-France qui passe sous pavillon anglais. Si les Français conservent les îles sucrières des Antilles et obtiennent l’île de Saint-Miquelon au large de laquelle ils gardent un droit de pêche, leur premier empire colonial a vécu.
Au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1753), que Churchill qualifiera plus tard de « véritable première guerre mondiale », la Grande-Bretagne s’affirme comme la nouvelle puissance dominante. Avec l’acquisition des possessions françaises aux Indes, elle jette les bases de ce qui deviendra le plus grand empire de tous les temps. Désormais maîtresse des mers, la « Perfide Albion » dominera les grandes mutations économiques planétaires jusqu’au début du XXe siècle où elle sera supplantée par son ancienne colonie américaine. En faisant payer le poids de son sea power et de son entretien aux Treize Colonies encore affectées par la guerre, Londres créera moins de 15 ans après sa victoire contre Versailles les conditions de la Révolution américaine. L’intervention vengeresse des Français en Amérique du Nord jouera un rôle décisif dans la Guerre d’Indépendance menée par l’homme de Jumonville, George Washington. Autre conséquence de cette guerre de Sept Ans où la propagande prend une place de plus en plus importante, le renforcement du sentiment national en France comme en Grande-Bretagne, et la marche progressive vers l’idée d’une « guerre totale », conditionneront d’un côté l’émergence du radicalisme britannique, et de l’autre, la naissance du concept d’État-nation. Ainsi, la Révolution française et l’Empire découlent-elles largement de l’issue de la guerre de Sept Ans. Si la chute de la Nouvelle-France et de ses « arpents de neige » passe, dans les salons parisiens des années 1760, pour une « simple » humiliation, ses conséquences à long-terme seront donc bien plus vastes que ne devait l’imaginer Lord John Russell au moment de la signature du Traité de Paris.
Un échec politique, mais un héritage durable ?
La Nouvelle-France, malgré l’immensité du territoire qu’elle recouvrait, malgré l’originalité des sociétés qui s’y sont développées, peut-être considérée comme un échec en ce sens que la colonisation de l’Amérique du Nord n’a pas rapporté à la métropole les avantages des colonies hispaniques ou britanniques. Cette expérience coloniale est assez représentative de la considération que les Français ont toujours donné à la culture du grand large qui prédominait aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, ou dans la péninsule ibérique. La France des XVIIe et XVIIIe siècles reste une nation essentiellement agricole où dominent les rentes et les corporatismes : elle ne parvient pas à se projeter de l’autre côté de l’Atlantique et à tenter le pari d’une nouvelle France outre-mer.
Pourtant, les familles qui s’installent au Canada, bâtissant des villes nouvelles aux toponymes évocateurs, s’adaptant constamment à la réalité du terrain, et réorganisant en quelques années des territoires plus grands que les régions de métropole, ont laissé un héritage complexe qui donne encore lieu à de nombreux débats historiographique. Les rares candidats à l’émigration sont des Angevins, Basques, Bretons, Champenois, Normands ou Poitevins qui se mêlent à des Hurons, Cris, Ojibwés, Montagnais et Mohicans : si l’entreprise coloniale n’a pas abouti à la soumission des populations autochtones par les allochtones, elle a accouché d’un monde franco-indien où les rapports de force, les différenciations ethniques, les usages familiaux sont d’une grande complexité.
Dans l’imaginaire national des Français et des Québécois, le souvenir de la Nouvelle-France reste largement synonyme de tragédie : celle d’une aventure coloniale portée par des figures comme Champlain, Frontenac, La Vérendrye ou Montcalm, qui se serait soldée par un désastre (traumatisme du « Grand Dérangement », politique anti-francophones, destruction des populations amérindiennes et de leur culture). Pour les historiens, elle équivaut le plus souvent à une ambition géopolitique dont la France ne s’est pas donnée les moyens. Construire un empire colonial à l’autre bout du monde aurait nécessité que la France s’ouvre, comme les puissances d’Europe du Nord, à la dimension maritime de l’économie-monde à l’époque moderne. Richelieu, qui avait ambitionné de jeter les bases d’une telle entreprise, confiait que « les larmes de nos souverains ont le goût de la mer »…