La France doit enfin se tourner vers la Mer
Tribune cosignée au nom d'Objectif France avec Rafik Smati, Président du mouvement, pour exprimer l'ambition maritime que nous défendons pour notre pays.
Le XXIe siècle se jouera en grande partie sur les mers. Les Océans sont la matrice d’un monde globalisé et deviennent la nouvelle frontière commune de l'humanité, pour le meilleur comme pour le pire. Or, la France, qui peine à se réinventer et à se projeter dans l'avenir, est peut-être le pays dont les atouts maritimes sont les plus grands. Historiquement, notre pays a trop délaissé le large, mais l’heure de sa vocation maritime est venue. Pour réveiller son économie, redynamiser ses territoires et redevenir une véritable grande puissance, la France doit se tourner vers la Mer !
La France, le pays où le Soleil ne se couche jamais
« Hexagone » : la France a un surnom particulièrement ancré. Pourtant, elle mériterait mieux celui d’« Archipel ». Notre pays est en effet le seul à être présent sur tous les Océans du Globe, le seul sur lequel le Soleil ne se couche jamais. Notre zone économique exclusive (ZEE) est avec 11 millions de km2 la deuxième du monde, et pourrait devenir la première en faisant valoir nos revendications. Ses richesses méritent qu'on la valorise autant que notre territoire terrestre : en raisonnant ainsi, la France, dont 97% du territoire se situe en mer et dans les Outre-Mer, n'est pas le 41e pays du monde, mais le 6e, avec une superficie plus large que celles de la Chine ou de l'Union européenne !
Les immenses richesses de notre ZEE
Notre ZEE, première au monde en termes de biodiversité, recèle d'immenses ressources halieutiques qu’il nous faut apprendre à gérer durablement. Elle contient aussi des hydrocarbures (gaz et pétrole offshore) ; alors qu’il nous faut préparer l’après-pétrole, certaines algues cultivables en grande quantité peuvent par exemple fournir des biocarburants potentiellement plus rentables que ceux dont la production cause déforestation et mise en danger d’espèces terrestres.
Ce gigantesque territoire maritime est également riche en métaux indispensables pour les industries du futur, dont des sulfures hydrothermaux, des encroûtements cobaltifères et des nodules polymétalliques que nous saurons exploiter de manière durable dans un avenir proche. Outre des métaux classiques (or et argent, cuivre, zinc, plomb…), on trouve dans notre territoire maritime des métaux d’avenir tel que le germanium, utilisé en électronique, l’indium nécessaire à la fabrication d’écrans plats et de panneaux solaires, ou le neodium utile aux aimants des éoliennes.
Le fort potentiel des énergies marines renouvelables
Plus près des côtes, la France dispose justement d’un potentiel unique dans les énergies marines renouvelables (EMR) tant au niveau des capacités naturelles que de notre savoir-faire. Aujourd'hui en retard sur nos voisins européens, nous avons tout pour faire émerger une filière industrielle privée des EMR et de faire de notre pays un leader dans ce domaine d’avenir. Les six parcs éoliens offhsore validés par l’exécutif actuel et qui devraient être achevés entre 2021 et 2024 totaliseront une puissance installée de 3 GW (la majorité des réacteurs nucléaires du pays ont, en comparaison, une puissance inférieure à 1 GW chacun) et créeront autour de 15 000 emplois. Un plan ambitieux pour les EMR permettrait de créer des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur manufacturier et de redynamiser des territoires sinistrés, sans compter les créations d’emplois tertiaires en aval et en amont.
La mer, clé de la croissance durable sur terre
L’alliance de notre génie scientifique et de nos ressources halieutiques pourrait permettre des révolutions dans divers domaines. En attendant que notre classe politique s’y intéresse, des entrepreneurs et chercheurs de talent construisent la France de demain en pariant sur les biotechnologies marines.
Dans le domaine de la santé, la première greffe de visage a par exemple été réalisée grâce au produit mis au point par la société française Hemarina à partir de recherches sur les arénicoles (vers marins), dont les molécules d’hémoglobine sont déjà utilisées pour d’autres soins courants. Bien d’autres innovations médicales françaises viendront de la mer si nous nous investissons dans ce domaine.
Alors que le modèle alimentaire des sociétés développées semble intenable au vu des contraintes écologiques, la mer apporte des réponses, par exemple des algues fournissant des protéines non carnées et pouvant être cultivées en grande quantité avec une empreinte écologique très faible. Des sociétés bretonnes comme Aléor ou Algolesko parient sur ce domaine : aux pouvoirs publics de montrer que la mer peut fournir une alimentation saine en arrêtant de détruire la planète !
Dans l’agriculture, d’autres algues encore servent depuis des siècles à améliorer le rendement des sols ; à plus grande échelle, elles pourraient servir à la confection d’engrais moins nocifs pour l’environnement. Des sables marins, dont l’exploitation actuelle représente cependant un danger pour les environnements locaux, sont aussi utilisés par des agriculteurs bretons et sont considérés comme un matériau d’avenir dans le bâtiment.
La mer peut aussi devenir le pilier d’une véritable économie circulaire et contribuer à réduire drastiquement le nombre de déchets produits dans notre pays. On sait que la pollution plastique fait des ravages dans les écosystèmes marins : or le plastique biodégradable à base d’algues pourrait remplacer les plastiques pétrosourcés. Des procédés tels que celui lancé par la start-up Algopack, s’ils étaient généralisés, pourraient permettre de beaux progrès dans la croissance durable.
Nous avons vu que notre ZEE possédait des hydrocarbures et des végétaux marins capables de s’y substituer : les algues, qui semblent décidément servir à tout, ont pour certaines des propriétés « dépollueuses » efficaces. De manière générale, c’est tout le secteur chimique français – deuxième d’Europe et cinquième du monde – qui pourrait ainsi se tourner vers la mer pour amorcer sa transition verte.
Des gisements d’emplois aussi nombreux que nos atouts
D’autres secteurs de pointe de notre économie en profiteraient, à commencer par l’automobile ou l’aéronautique qui pourraient s’adapter aux biocarburants marins. À bien y regarder, c’est l’ensemble de l’écosystème économique français qui pourrait profiter de la croissance bleue. L’économie maritime représente aujourd’hui 400 000 emplois directs, un chiffre qui pourrait dépasser le million d’ici 15 ans si nous nous en donnions les moyens. La pêche, les filières de construction et de déconstruction navales, l’aquaculture extensive et durable, l’exploitation et la transformation des ressources évoquées plus haut, et tant d’autres domaines d’activité n’ayant parfois pas de rapport évident avec la mer peuvent créer des centaines de milliers d’emplois. Il y a tant à faire, à commencer par la formation professionnelle ! Mais rien d’ambitieux hélas n’est entrepris pour le moment…
La France délaisse une vocation maritime plus évidente que jamais
Pour des raisons que nous ne détaillerons pas ici, notre pays est régulièrement passé à côté de sa vocation maritime depuis les Grandes Découvertes. Notre triste rapport à la mer se résume dans cette sagesse de Richelieu, un de nos seuls dirigeants à avoir pleinement compris l’enjeu maritime : « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée ». Mais le gâchis de notre potentiel maritime n’a jamais été aussi désolant. Alors que la mer est plus importante à notre époque qu’à toutes les précédentes, et que nos atouts y sont plus forts que jamais, notre classe politique délaisse depuis des décennies l’or bleu qu’a notre pays entre ses mains. Le Gouvernement actuel perpétue en mer le cynisme et la médiocrité du vieux monde politique, et ne prévoit rien d’ambitieux alors que la société civile multiplie les initiatives et travaux insistant sur l’urgence d’une vraie politique maritime.
La marginalisation de nos ports, illustration du vide stratégique français
Nos ports, si stratégiques dans un monde où 90% des échanges se font en mer, sont marginalisés par leur manque de compétitivité et mal connectés au territoire, ce qui contribue à renchérir inutilement nos importations et exportations, avec également des conséquences en termes d’emploi, de pouvoir d’achat et d’environnement. Le tonnage de l'ensemble des ports français équivaut aujourd'hui à celui d'Anvers, les ports du Benelux assurant la moitié de notre commerce extérieur. Nos façades maritimes et notre hinterland devraient faire de nous la porte d’entrée de l’Europe, mais nos dirigeants ont préféré laisser nos ports rester des culs de sac. Un gâchis économique au goût d’humiliation pour une puissance de notre rang. Notre premier port de conteneurs, le Havre, est à peine au 56e rang mondial alors que son arrière-pays jusqu'à l'agglomération parisienne devrait permettre d’en faire un grand port mondial, tout en donnant au Grand Paris l’ouverture maritime nécessaire pour peser dans le futur de la mondialisation. Une grande stratégie portuaire, pilier essentiel d’un réaménagement de nos territoires face aux révolutions à venir dans le domaine des transports, profiterait à tout le pays !
L’urgence de renforcer notre Marine nationale
On sait que l’armée française a été la grande sacrifiée des 25 dernières années : la Marine nationale, qui commence tout juste sa remontée en puissance, a grandement souffert de l’impéritie et de l’absence de stratégie de nos dirigeants. Résultat, des zones entières de notre ZEE se font piller faute de surveillance, ce qui empirera au fur et à mesure que l’humanité saura exploiter l’Océan mondial. À plus long terme, alors que la haute mer sera bientôt un enjeu de conflictualité majeur, nous risquons de voir notre souveraineté contestée et bafouée par des puissances qui ont mieux intégré la géopolitique des Océans et investissent massivement dans leurs marines de guerre. Le pôle Défense d’Objectif France, dirigé par le général Jean-Bernard Pinatel, proposera entre autres un plan d’action crédible pour renforcer nos forces navales.
La France, leadeur désigné pour la protection des Océans
Plus de 29% des stocks de poisson dans le monde sont surexploités, avec de fortes variations d’une région à l’autre ; au cours des 40 dernières années, les populations d’espèces marines auraient enregistré un déclin de 39% ; 150 millions de tonnes de plastique polluent les Océans ; les « zones mortes » se multiplient partout ; l’acidification des Océans atteint des proportions inquiétantes… Il faudrait une tribune complète pour brosser le triste tableau de la destruction des mers et Océans qui couvrent 71% de la planète bleue et y autorisent la vie. Pourtant, la France semble toute désignée pour devenir le leader mondial de la protection des Océans, et agir en ce sens aux niveaux européen et international. La résolution des défis environnementaux se fera à l'échelle globale, et les Océans sont au cœur du sujet : la France puissance maritime doit être au rendez-vous de l'Histoire.
Invitons enfin la Mer dans le débat public
On dit la France petite : sa dimension planétaire en fait l’une des plus grandes nations du monde. On la dit dépourvue de ressources : d’immenses richesses dorment aux fonds de nos possessions maritimes. On la dit, encore, condamnée aux seconds rôles : sa vocation maritime peut remettre la France au cœur d’une Histoire universelle où rien n’est joué d’avance. On entend aussi que notre économie serait sans leviers de croissance ou gisements d’emplois nouveaux : mais la France de demain ne se limite pas aux start-ups parisiennes. On dit enfin que les Français sont pessimistes, voire déclinistes : combien savent-ils que leur pays a de l’or bleu entre ses mains ? Objectif France fera connaître au grand public l’immensité de nos atouts maritimes, pour redonner aux Français le goût du futur.
La France a plus que jamais besoin de renouer avec un grand récit collectif porteur d’ambitions nationales, capables de redonner envie de France. Il nous faut repenser notre pays comme une nation planétaire, aux façades maritimes ouvertes sur le monde et aux possessions maritimes infinies. Il nous faut, surtout, nous redonner des défis à relever et des frontières à dépasser : ce que la conquête des étoiles a été à l’Amérique des années 1960, l’aventure maritime peut l’être à la France des prochaines décennies. Objectif France portera parmi ses idées-forces un grand projet pour faire gagner la France en mer, et l’imposera dans un débat public qui passe à côté des grands sujets d’avenir.
Il est temps pour la France de prendre le large, et de naviguer dans le sens de l’Histoire !
Rafik Smati,
43 ans, Président d’Objectif France et entrepreneur
Aurélien Duchêne,
20 ans, étudiant et Directeur adjoint du Projet d’Objectif France