Dépense publique : et si l'on s'inspirait du Canada ? (18/09/17)

Le Canada est parvenu à éviter la faillite de ses finances publiques tout en diminuant fortement son taux de chômage grâce aux mesures prises par l'ancien PM Jean Chrétien. Faut-il s'en inspirer ? Voici un bref résumé de ces réformes audacieuses, et de la manière dont elles ont été menées.

Dépense publique : et si l'on s'inspirait du Canada ? (18/09/17)

Le Canada est parvenu à éviter la faillite programmée de ses finances publiques tout en diminuant fortement son taux de chômage. Bien qu'elles soit généralement méconnues et quasi-absentes du débat politique français, les recettes appliquées par le Premier ministre Jean Chrétien pour réinventer l'économie de son pays devraient nous inspirer. Voici un bref résumé de ces réformes audacieuses, et de la manière dont elles ont été menées.

Contexte

Dans les années 1990, le Canada était dans une situation très difficile. Après une longue stagnation, le pays entra en récession en 1991 (entre -2 et 2,5% de croissance du PIB), pendant que le chômage progressait rapidement (7,5% en 1989, 8,2 en 1990, 11,4 en 1993).
La société canadienne baignait dans un certain mal-être ; les jeunes étaient sceptiques sur leurs chances d’avenir, la classe politique, discréditée, tenait un discours de résignation et les entrepreneurs regardaient vers les États-Unis en pleine renaissance économique.
Le Canada semblait tellement « fini » que les souverainistes québécois devinrent la deuxième force politique du pays ! Le « oui » à l’indépendance de la Belle-Province n’échouera d’ailleurs qu’à 54 000 près lors d’un référendum en 1995.
À l’étranger, les observateurs regrettaient que ce pays admiré pour ses valeurs libérales et son dynamisme soit sur la pente du déclin.

Action entreprise

Le 25 octobre 1993, Jean Chrétien remporta la majorité absolue lors des élections fédérales en ayant mis en avant son programme de sortie de crise qu’il avait longuement préparé depuis son accession à la chefferie (présidence) du Parti libéral en 1990.

La priorité absolue de ce programme sans concession ? Réduire en urgence le déficit de l’État (8% en 1993, avec une dette publique entre 96 et 100% du PIB) pour retrouver à terme la croissance et la création d’emplois. Parmi les mesures du gouvernement de Jean Chrétien :

  • Gagner en efficacité en transférant de nombreuses compétences (transports, culture, formation professionnelle…) aux provinces fédérées et en supprimant toutes les antennes locales qui « doublonnaient ».
  • Réduire de plus de 20% le nombre d’agents publics de l’État fédéral (essentiellement par des non-remplacements de départs à la retraite). À titre de comparaison, c’est comme si la France supprimait 1 150 000 postes de fonctionnaires ou de contractuels en quelques années ! Le nombre de fonctionnaires stricto sensu passera de 250 000 en 1993 à moins de 200 000 5 ans plus tard.
  • Geler temporairement les rémunérations de ces derniers et encourager les départs à la retraite anticipés.
    Obliger les ministres à réduire de 20% les dépenses de fonctionnement de leurs ministères ; Jean Chrétien renverra tous les ministres qui refuseront cette stratégie.
  • Réduire à 23 (contre 32 auparavant) le nombre de ministères fédéraux.
  • Privatiser les entreprises publiques dont il était établi que l’État n’était pas le seul à pouvoir assurer la gestion. Les infrastructures par exemple sont désormais en bien meilleur état, et bien plus rentables qu’auparavant.
  • Baisser massivement le budget de tous les ministères fédéraux : près de -70% pour les agences régionales (un ministère devenu presque inutile), -60 pour les subventions industrielles (le gouvernement ayant préféré une politique de baisse des charges et de libéralisation pour les entreprises concernées), et entre 20 et 50% pour tous les ministères dont la mission était désormais assurée par les provinces ou les communes (Culture, Agriculture, Pêche, Environnement…). Seul le budget des Affaires Indiennes augmentera, au nom de la politique de soutien à la diversité et de protection des « Premières Nations » chère au Parti libéral.

Outre une méthode de combat qui a porté ses fruits, trois grands principes ont guidé le redressement économique du Canada :

  • Agir au cas par cas plutôt que de réaliser une baisse uniforme et aveugle de toutes les dépenses publiques : l’État canadien n’a pas pratiqué le general haircut et s’est concentré sur les dépenses inutiles. Une politique qui aurait dû être suivie par la France dans les deux cas étudiés dans cet autre article.
  • Choisir la prudent assumption, c’est-à-dire le fait de ne pas cadrer la politique budgétaire sur des prévisions trop optimistes. Les résultats de la politique de rigueur seront d’ailleurs sous-estimés par le gouvernement de Jean Chrétien, qui décidera de mettre de côté les surplus budgétaires pour les réutiliser en cas de crise.
  • Oser une communication démocratique et transparente : le gouvernement a systématiquement expliqué ce qu’il faisait en matière de dépense publique ou de fiscalité, pourquoi il le faisait et pour quels résultats, présentant un calendrier précis des réformes à venir et des objectifs, réalistes comme nous le verrons, de réduction du déficit et du chômage.

Dans les medias nationaux ou dans les régions à la rencontre des citoyens, les ministres et députés de la majorité mais aussi de nombreux experts ou personnalités de la société civile ont fait ce qu’aucun gouvernement français n’a réellement fait pour le moment depuis plus de 40 ans, à savoir parler en toute transparence et en toute franchise à l’ensemble de la population.

Et à l’inverse des dirigeants français qui ont pris pour habitude de promettre une thérapie de choc à leurs partenaires au cours de réunions informelles avec la Cour des comptes, la Commission européenne, le FMI ou divers think tanks réformistes pour ensuite promettre à leurs électeurs qu’ils ne toucheraient à rien, Jean Chrétien et son administration n’ont pas changé leur discours en fonction de leur interlocuteur. Lors de réunions avec les créanciers (ou tout autre acteur financier), les représentants du gouvernement ont dit exactement la même chose qu’aux citoyens.

Malgré la prudent assumption, le gouvernement s’était au préalable fixé un objectif de court terme clair et « motivant » (réduire à moins de 3% le déficit en trois ans, ce que la France compte faire depuis… six ans), et un objectif de long terme auquel se tenir (retrouver l’équilibre budgétaire en six ans).

Un cap donc, précis, ambitieux, qui conditionne toute l’action du Premier ministre et de sa majorité pour tenter d’obtenir enfin des résultats tangibles, ignorant les sondages et les polémiques stériles, sachant que ce plan lui-même se jouait au-delà du mandat pour lequel avaient été élus Chrétien et son équipe. Rien à voir avec de la navigation à vue ou de la gestion à la petite semaine. Le gouvernement décida aussi de ne pas dépasser l’équivalent du niveau de dépenses publiques de l’année 1991 pendant cinq ans.

Résultats obtenus

Le programme de Jean Chrétien, au moment de son élection, a déclenché d’innombrables critiques : « c’est impossible à réaliser », « l’austérité va tuer la croissance », « le pays ne peut pas subir ça », « les libéraux n’arriveront pas à la fin de leur mandat ». Pourtant, cette thérapie de choc a porté ses fruits. Dès 1996, le déficit n’était plus que de -2,6% (respectant ainsi les objectifs de 1993), et il fut converti en excédent de +0,2% en 1997. La même année, la croissance atteignait les 4%, un taux jamais vu depuis des années qui fut maintenu en 1998. La dette reflua à 82% en l’an 2000, contre 102% en 1996 !

Et contrairement aux prévisions des pourfendeurs de la prétendue « casse sociale » que devait susciter cette politique de rigueur, le chômage fondit comme neige au Soleil : après avoir atteint comme vu les 11,4% de la population active en 1993, il finit par s’établir à 9,1% en 1997, puis à un minimum record de 6,8% quatre ans plus tard. Et pas des emplois à un euro de l’heure où à 100h par semaine, comme d’aucuns pourraient le prétendre pour défendre avec mauvaise foi le choix français du chômage de masse subventionné par l’argent public.

Sans avoir eu besoin d’augmenter les impôts des ménages, le gouvernement de Jean Chrétien sera parvenu à dégager un excédent budgétaire pendant cinq années consécutives, alors que le pays était au bord de la faillite quelques années auparavant. Les charges des entreprises et les impôts des particuliers finiront par baisser de plus de 100 milliards de dollars (canadiens) de l’époque.

Avec la réduction du nombre d’agents publics, la part des charges salariales (en pourcentage du PIB) était passée de 15,5 en 1993 à 12,25 en 1997. Le montant des allocations sociales, mieux ciblées et moins nécessaires du fait du redémarrage de l’économie, passa de 13,29 à 11,38% du PIB sur la même période, et les transferts du gouvernement central vers les gouvernements provinciaux diminuèrent de 8,9 à 6,3% du PIB. Enfin, les nombreuses subventions que versait l’État fédéral diminuèrent de 1,76 à 1,06% du PIB, toujours entre 1993 et 1997.

En se réformant radicalement, le Canada a donc changé de paradigme : l’État n’est plus un pompier qui subventionne ou renfloue à tour de bras, car les entreprises ont davantage de marges pour progresser et les secteurs obsolètes ne sont plus maintenus sous respiration artificielle ; davantage de décisions sont prises au niveau local.

Aujourd’hui très populaire parmi les Canadiens qui voient en lui un Premier ministre courageux qui a peut-être évité la faillite et a contribué à refaire du « grand Nord blanc » un pays dynamique et optimiste pour son avenir, Jean Chrétien aura suscité davantage d’adhésion à la fin de son mandat qu’au moment de son élection.

Peu charismatique (un point qui lui vaudra des attaques), loin d’être un meneur de foules à la Justin Trudeau, Chrétien a réussi à s’imposer en menant des réformes difficiles et au départ impopulaires. Sa stature lui permettra de faire accepter des revendications libérales dont la plus symbolique reste l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, ou de s’opposer à la Guerre en Irak de 2003. Leçon pour la France : le Canada, d’abord en proie au malaise national comme on l’a vu en introduction, a changé son regard sur lui-même depuis qu’il a rénové son modèle économique, et est redevenu un pays aimé, envié et recherché.

Après avoir été réélu deux fois, Jean Chrétien finit par être rattrapé par les lois de la politique : les gouverneurs provinciaux estimaient ne pas avoir reçu les moyens de répondre aux nouvelles responsabilités que leur avait transféré le gouvernement d’Ottawa. Il quittera le pouvoir en décembre 2003. Son ancien ministre des Finances, Paul Martin, qui avait tenté de le faire renverser par le Parlement en 2000, lui succédera à la tête d’un Canada en bien meilleure santé. Martin continuera la politique engagée dix ans plus tôt ; en 2006, année où il fut battu par le conservateur Stephen Harper, la dette publique s’était encore réduite à 70,3% du PIB, et le chômage était au plus bas.

Au lieu de se borner à ne regarder que le modèle outre-Rhin, et si nous cherchions de l’inspiration de l’autre côté de l’Atlantique, là où de plus en plus de Français tentent leur chance et réussissent leur vie ?