De la Scandinavie aux Balkans : de potentiels théâtres pour une future « surprise stratégique » liée à la Russie ?

De la Scandinavie aux Balkans : de potentiels théâtres pour une future « surprise stratégique » liée à la Russie ?

Comment le retour de la Russie est-il perçu dans d'autres régions stratégiques d'Europe ? Comment se matérialise-t-il ? On connaît bien en France les enjeux liés au renouveau d'une puissance russe agressive en Ukraine ou dans les pays baltes, ces pays d'ex-URSS frontaliers de la Russie étant naturellement les plus concernés. On maîtrise en revanche moins bien la situation au nord de l'Europe. Celle-ci est pourtant fondamentale. D'abord, tout ce qui se passe aux frontières européennes de la Russie a des répercussions en Scandinavie, y compris les événements dans la région de la mer Noire. L'isthme entre celle-ci et la mer Baltique forme un ensemble très connecté depuis le Moyen Âge (rappelons d'ailleurs que la première dynastie russe, les Riourikides, aurait par son fondateur des origines scandinaves tout comme la création de la Rus' de Kiev au IXesiècle est largement liée aux Varègues, vikings venus de la Suède actuelle). Surtout, les pays du Nord sont directement concernés par les ambitions de la Russie quand bien même ils ne font pas partie de son « étranger proche », des appétits russes dans l'Arctique aux tensions en mer Baltique. Au cours de la Guerre froide, la Finlande, la Suède, la Norvège et le Danemark étaient aux avant-postes face à une URSS qui comprenait encore les États baltes et au Pacte de Varsovie qui incluait la Pologne et l'Allemagne de l'Est comme États riverains de la Baltique. Avec le retour des tensions entre la Russie et ses voisins occidentaux, ces pays se sentent à nouveau en première ligne. Les pays nordiques sont ainsi l'objet de provocations militaires, d'actes d'intimidation et de campagnes de désinformation, d'où une forte perception de la « menace russe ». Il convient de se pencher sur leur cas pour mieux comprendre le futur potentiellement dangereux des relations entre l'Europe et la Russie. Ces actes hostiles contribuent à entretenir les tensions dans la région – au point que l'hypothèse d'un accident militaire ou d'une erreur d'interprétation précipitant une crise grave n'est pas à exclure.

A contrario, la Serbie offre un exemple d'ancrage régional d'une Russie toujours capable de renouer des relations solides en Europe. Si les liens entre la Russie et la Serbie sont le produit d'un héritage historique et d'une proximité culturelle que rien n'effacera, ils s'inscrivent aujourd’hui aussi dans l'optique de contrer l'intégration des Balkans dans la construction européenne ; les échecs de l'UE dans la région ont créé un trou d'air où s'engouffrent aujourd’hui la Chine et dans une moindre mesure la Turquie d'Erdogan, augurant de rivalités croissantes.

De la « Ryska påsken »à Vardø : provocations et intimidations russes en Europe du Nord

La France et ses voisins européens ont à de nombreuses reprises été visés par des provocations militaires russes. Les opérations « coups de com » de l'aviation russe (ainsi des sorties d'avions militaires russes en mer du Nord ou du vol de bombardiers à capacité nucléaire au-dessus de la Manche) près de nos frontières ont ainsi plusieurs fois émaillé la presse. Les marins français ont déjà directement fait l'objet de « survols inamicaux » de la part d'aviateurs russes (on en a ainsi répertorié huit entre l'été 2017 et avril 20181, et cela continue). Sous les mers, le Charles de Gaulle a par exemple été suivi plusieurs fois de près par des sous-marins russes, lesquels font spoardiquement des tours au large des côtes de pays européens comme le Royaume-Uni. La Royal Navy a elle aussi plusieurs fois fait l'expérience de ce genre de « traques » comme lorsque l'un de ses SNLE, le HMS Astute, a été suivi plusieurs jour par un, voire deux sous-marins russes de classe Kilo, une frégate et un avion de lutte anti-sous-marine2. Ces manifestations se multiplient sous les mers, en mer et dans les airs, mais aussi dans l'espace (tentative d'espionnage du satellite franco-italien Athena-Fidus par le satellite russe Louch-Olymp en 20173, comportement étrange du satellite russe Kosmos 2542 envers le satellite américain USA 245 en janvier 2020...). Selon l'OTAN, 90% des interceptions d'intrusion aérienne sur l'année 2020 (en légère augmentation) étaient encore liées à l'aviation russe, dont les pilotes ne transmettent souvent pas leur position et altitude, ne communiquent pas avec les contrôleurs, ou ne fournissent pas de plan de vol, posant des risques pour les vols civils4. La liste des provocations et comportements inamicaux de la part des armées russes est longue, mais elle l'est bien plus encore en Europe du Nord.

Les actions hostiles de la Russie en Europe du Nord prennent notamment la forme de provocations et d'intimidations militaires. Ainsi de la « Ryska påsken », la « Pâque russe ». Le 29 mars 2013 au soir, pendant que des forces russes s'affairaient encore à l'exercice Ladoga 2013 (70 avions et 1 000 hommes à la frontière finlandaise, le genre d'exercices alors habituels ayant précédé le retour des manœuvres massives d'aujourd'hui), deux Tu-22 M3 (bombardiers russes à capacité nucléaire) escortés de quatre chasseurs Su-27 ont pénétré l'espace aérien suédois5, survolant les îles Öland puis Gotland. Alors que la défense suédoise prévoyait que deux chasseurs JAS 39 Gripen gardés en alerte permanente aillent intercepter les intrus6, aucun n'a décollé : manque de moyens, de considération des risques, d'entraînement ? Pendant que la défense suédoise restait immobile, le groupe d'avions russes se scindait en deux, un trio se dirigeant vers Stockholm et l'autre vers le sud de la Suède. Seuls décollèrent deux F-16 danois stationnés temporairement à Siauliai (Lituanie) dans le cadre d'une mission OTAN. Une humiliation complète pour la Suède, autrefois maîtresse de l'une des principales aviations militaires du monde, qui a vu cette nuit-là son territoire survolé par des bombardiers à capacité nucléaire. Trois semaines plus tard, un Iliouchine Il-20M (avion de renseignement électromagnétique russe) violait à nouveau l'espace aérien suédois en plein exercice militaire d'ampleur associant les Försvarsmakten (forces armées suédoises) et l'OTAN. En octobre, de la même année, cinq avions russes simulaient une opération de bombardement en Suède, Pologne et dans les Pays Baltes7. En septembre 2014, des Su-24 russes violaient à nouveau l'espace aérien de la Suède8. Depuis le tournant de 2014, ce genre d'incursions dans l'espace aérien suédois s'est évidemment multiplié.

La Norvège n'est pas en reste, et fait même l'objet de simulations d'attaques de ses sites stratégiques, par exemple sur ses défenses frontalières. Ainsi, mi-février 2018, onze Su-24 russes ont mené une simulation d'attaque9du site norvégien de Vardø, qui abrite à l'extrémité orientale du pays une installation radar Globus II. Les avions russes ont décollé de la base aérienne de Monchegorsk (péninsule de Kola), se dirigeant vers la mer de Barents avant d'obliquer et de foncer en formation d'attaque vers Vardø pour faire demi-tour au dernier moment. Cette simulation d'attaque aérienne en règle n'a été rendue publique par les Norvégiens qu'un an après. Un épisode similaire, également à  Vardø, avait déjà eu lieu en mars 201710pour n'être dévoilé là encore qu'un an plus tard.

Provocations aériennes, intrusion de sous-marins dans les eaux territoriales, exercices militaires ouvertement dirigés contre les États scandinaves qui sont parfois présentés comme de potentiels adversaires... la Russie continue de mener des opérations hostiles et intimidantes en Europe du Nord. En mer Baltique, les aviateurs russes sont devenus coutumiers des provocations aériennes consistant par exemple à voler au plus près de forces navales de l'OTAN (américaines incluses) ou de la Marine suédoise, en exhibant leurs bombes embarquées. S'y ajoutent la rhétorique du Kremlin, et même des intimidations diplomatiques. L'exemple danois est sur ce point éloquent. En mars 2015 l'ancien ambassadeur russe au Danemark, Mikhaïl Vanine, déclarait lorsqu'il était encore en poste que « les navires de guerre danois deviendront des cibles pour les missiles nucléaires russes si Copenhague persiste à vouloir s’associer au système de défense antimissile de l’OTAN11 ». L'année suivante, il qualifiait les Danois de peuple « hostile12 » (alors que le pays montrait une volonté de dialogue avec Moscou depuis la main tendue du ministre des Affaires étrangères Kristian Jensen en 2015), avant d'affirmer en 2018 que son pays ne voyait « pas d'intérêt13 » à s'ingérer dans les élections danoises parce que les politiciens danois seraient tous « russophobes »...

Ces messages explicites contribuent à un changement au sein des opinions publiques locales, pourtant viscéralement pacifistes. Ils contribuent aussi à un réarmement historique de ces pays qui n'auraient jamais imaginé devoir engager de telles politiques après la fin de la Guerre froide.

« Om Kriget kommer »... quand le Nord réarme face à la menace russe

Les États scandinaves ont particulièrement embrassé le rêve de la « fin de l'Histoire » et des « dividendes de la paix » avec l'effondrement de l'URSS et la réunification de l'Europe. Alors que ces pays profondément pacifistes avaient maintenu un bon outil de défense (la Suède ayant l'une des meilleures BITD du monde), leurs budgets militaires ont fondu comme neige au Soleil et le format de leurs forces a été ramené au strict minimum. Dans l'idée que le temps des menaces était définitivement révolu, les dépenses militaires semblaient être devenues inutiles ; leur réduction a contribué au financement des dépenses en protection sociale, éducation et recherche, des domaines où les pays nordiques font à juste titre figure de modèle pour le reste du monde.

Le réveil a été difficile. Début 2013, lorsque le chef d'état-major suédois Sverker Göranson estimait que la Suède tiendrait « environ une semaine » en cas « d'attaques limitées », ses déclarations ont soulevé une certaine incompréhension. Alarmiste ? Anachronique ? Son propos a vite été confirmé par un rapport alarmant14, puis par une série d'exercices russes explicitement tournés contre des cibles suédoises potentielles au cours de l'année. Le tournant de 2014 et la hausse des tensions entre la Russie et les Occidentaux a évidemment fait le reste. Les pays nordiques considèrent la Russie comme étant la principale menace à leur sécurité et ont opéré un basculement politique en faveur du réarmement, lequel fait désormais globalement consensus.

La Suède, qui a rétabli une conscription partielle en 2017 (un choix qui répond au besoin de préparer un potentiel conflit d'ampleur qui menacerait l'intégrité de la Suède ou sa souveraineté), réarme y compris sur le plan politique, en renouant avec la défense civile et la « défense globale ». Àtitre d'exemple, début 2018, le Gouvernement suédois a envoyé à plus de 4,7 millions de foyers un livret détaillant les comportements à adopter en cas de crise grave, voire de guerre. Le titre : Om Kriget kommer(« si une guerre survient »). Citons la version anglaise de ce livret15, p. 12 : « Si la Suède est attaquée, la résistance est requise. [...]Si la Suède est attaquée par un autre pays, nous n'abandonnerons jamais. Toute information selon laquelle il faut cesser la résistance est fausse ». Le ton est donné.

La Suède remilitarise aussi certains points stratégiques de son territoire, l'exemple le plus parlant étant la remilitarisation de l'île de Gotland. Située entre la Suède continentale et la Lettonie, à une distance raisonnable des deux autres États baltes, de la Pologne et de la Russie (via l'enclave de Kaliningrad), Gotland est le verrou de la Baltique. Cette île stratégique est convoitée et contestée par les puissances régionales successives depuis le Moyen Âge. Un tel site est naturellement une cible prioritaire en cas de conflit localisé dans la Baltique ou s'étendant à celle-ci. Dès 2015, Stockholm a donc décidé d'y rétablir une présence militaire. En mai 2018, une force de 350 soldats – dont 150 en présence permanente – prenait ainsi position sur l'île. Le Gotlands regemente, supprimé en 2005, a été réactivé pour l'occasion : la Suède n'avait jamais créé un seul nouveau régiment depuis la Seconde Guerre mondiale16. La remilitarisation de l'île s'accélère depuis. En juillet 2019, la Suède déployait à Gotland un système de défense anti-aérienne RBS 23 BMSE17, d'une portée de 15 à 20 km, en attendant d'installer des systèmes plus récents et performants (Stockholm avait validé l'an précédent l'acquisition du système antimissile américain Patriot). Autre exemple : à l'automne 2019, la Suède a commencé à rouvrir des bunkers navals pour faire face aux possibles opérations russes dans la Baltique. Symboliquement, le Marinstaben, l'état-major naval suédois qui avait été supprimé en 1994, a été rétabli en 2019 et son quartier général réinstallé dans la célèbre base navale de Muskö (à 40 km de Stockholm) qui a été rouverte18. La réouverture de ce site très sécurisé, qui était l'un des symboles de la Guerre froide, a été vue comme une étape de plus vers l'adaptation à une nouvelle ère de tensions et de risques internationaux.

La perception d'un réveil de la menace russe amène la Suède à amender sa politique économique qui a fait d'elle un modèle international. La Suède met un point d'honneur à financer une protection sociale et des services publics parmi les plus efficaces au monde, et à investir massivement dans l'avenir (éducation, recherche, environnement) tout en limitant la fiscalité des entreprises et en s'astreignant au sérieux budgétaire. Une véritable ligne de crête qui a fait le succès de l'économie suédoise depuis les réformes entreprises dans les années 199019. Pourtant, le ministre de la Défense suédois a annoncé début septembre 2019 que son Gouvernement comptait « taxer les banques » pour aider à financer la forte hausse du budget militaire planifiée jusqu'en 2022 et censée accélérer par la suite.

Devant l'hypothèse du pire, la Suède s'engage en effet dans une remontée en puissance de son outil militaire. Les forces suédoises ont beau être peu nombreuses avec moins de 25 000 militaires d'active et moins de 35 000 réservistes, elles sont équipées en vue de conflits de haute intensité. Les Försvarsmaktenalignent entre autres 120 chars de combat Stridsvagn 122 (Strv 122), 509 Stridsfordon 90 (véhicules de combat d'infanterie), une bonne artillerie centrée sur les Bofors (le pays a toujours été une référence en ce domaine depuis l’Époque moderne), et une flotte aérienne de près de 100 Saab JAS 3 Gripen qui devront bientôt être en majorité remplacés par des Gripen plus modernes... Autant d'équipements qui seront évidemment loin de faire le poids face à un géant comme la Russie (qui constitue l'adversaire le plus crédible pour les Suédois), mais qui font de la Suède l'un des seuls pays d'Europe à disposer de forces conçues pour des conflits conventionnels de haute intensité, fût-ce sur un format réduit.

Si jusqu'en 2014, les armées suédoises – aux budgets et effectifs réduits à la portion congrue – étaient quasi exclusivement concentrées sur des missions humanitaires à l'international, elles n'ont pas négligé les équipements nécessaires pour mener des combats d'ampleur. Devant le risque de voir la Suède entraînée dans un tel conflit, son Gouvernement va renforcer ses équipements. Les effectifs remontent également en flèche. Ceux-ci étaient passés de 15 brigades et 100 bataillons auxiliaires activables en 48h en 1995, à deux bataillons et quatre compagnies auxiliaires activables en 90 jours en 2010 : en 2019, les effectifs de ce qui s'appelle désormais la « force de volontaires » ont été rehaussés à sept bataillons et 14 bataillons auxiliaires, activables en une semaine, et seront augmentés à trois brigades d'ici 2025. La conscription partielle rétablie en 2017 achève de renforcer les effectifs. Ce tournant radical dans la gestion par la Suède de son outil de défense et la remontée en puissance rapide de celui-ci s'expliquent par sa réévaluation d'une potentielle menace russe, jugée de plus en plus crédible ; quoique l'hypothèse d'un conflit avec la Russie reste faible à ses yeux, elle n'est plus balayée d'un revers de la main. En octobre 2020, la Suède a annoncé l'ambition d'augmenter ses dépenses militaires de 40% d'ici 202520; évoquant les « agressions russes en Géorgie et en Ukraine », le ministre de la défense Peter Hultqvist a estimé qu'une « attaque armée contre la Suède ne peut pas être totalement écartée ».

La Norvège est sur une trajectoire comparable et augmente ses moyens de défense. Le Commandant général des forces armées norvégiennes, Rune Jakobsen, estimait début octobre 2019 que l'armée de son pays était « trop petite pour la tâche la plus minimale (lowest task) : défendre le territoire norvégien jusqu'à l'arrivée de renforts alliés [de l'OTAN]21 ». Cette déclaration intervenait peu de temps après que des officiels norvégiens aient pointé du doigt l'activité d'unités russes... en plein territoire norvégien. Le nouveau Livre blanc sur la Défense norvégien recommande la création d'une deuxième brigade combattante d'active. Comme les forces suédoises, les forces norvégiennes sont très bien équipées, notamment en équipements collectifs plus ou moins adaptés à des combats de haute intensité auxquels elles souhaitent pouvoir se préparer en augmentant leurs effectifs et le nombre de leurs équipements.

La Norvège identifie de plus en plus la Russie comme une menace avérée, comme le soulignait encore le rapport Fokus 2020 qui désigne aussi la menace que représente la Chine dans d'autres domaines22. Le chef des renseignements étrangers norvégiens, le Lieutenant général Morten Haga Lunde, avançait début 2020 que ces deux États représentaient la plus grande menace contre son pays (la Chine adoptant un comportement de plus en plus hostile en région arctique avec l'aval de la Russie et intensifiant ses pratiques d'espionnage et d'infiltration en Norvège). Le Suédois Hans Wallmark, alors président du Conseil nordique, déclarait d'ailleurs en novembre 2019 que « la Russie est la principale menace contre les pays nordiques. Mais au-delà de la menace militaire, nous devons ajouter la menace économique et industrielle chinoise. Nous observons une activité croissante dans les opérations d'influence de la part de la Chine23 ». La Norvège se sent particulièrement concernée, d'autant que Chine et Russie sont de plus en plus étroitement associées sur les dossiers qui menacent ses intérêts et sa sécurité, y compris dans l'Arctique.

Oslo cherche pourtant régulièrement à dégeler les relations avec Moscou. Parmi ses initiatives récentes sur le terrain diplomatique, la Norvège s'est opposée à l'automne 2019 au déploiement sur son sol d'un bouclier antimissiles de l'OTAN. Les propos précédemment cités de Mikhaïl Vanine (« les navires de guerre danois deviendront des cibles pour les missiles nucléaires russes si Copenhague persiste à vouloir s’associer au système de défense antimissile de l’OTAN ») ont peut-être joué dans la prudence des Norvégiens, mais celle-ci vient surtout des intimidations et démonstrations de forces auxquelles se livre régulièrement la Russie à l'encontre de la Norvège et de ses voisins. Parmi les dernières en date, citons la cyberattaque conte le Parlement norvégien, imputé par Oslo à la Russie24. Le royaume nordique, qui a plusieurs fois été qualifié de pays le plus pacifique du monde et dont la population reste fondamentalement hostile aux actions armées, envisage sérieusement l'éventualité d'un conflit localisé entre puissances.

En Serbie, la Russie parvient à réactiver les liens panslaves

Dans les Balkans, la Serbie constitue à l'inverse un exemple intéressant de la capacité de la Russie à peser à nouveau comme une puissance sachant jouer de liens culturels et historiques autant que d'intérêts stratégiques partagés. La Serbie et la Russie entretiennent une relation particulièrement étroite, antérieure à la renaissance d’un État serbe indépendant puisque la Russie a été dès le XIVe siècle le refuge d’élites serbes fuyant l’invasion ottomane, avant de s’ériger en protectrice à la fois des Slaves et de l’orthodoxie. Cette « fraternité russo-serbe » a pris une nouvelle dimension au XIXe siècle du fait de l’essor des mouvements d’émancipation nationale hérités de la Révolution française, et du panslavisme. Après plusieurs décennies marquées par des soulèvements face à l’occupation ottomane, la Serbie a obtenu son indépendance définitive (Traité de Berlin, 1878) à la suite de la Guerre russo-turque de 1877-1878 où la solidarité panslave a été déterminante. La proximité entre Serbie et Russie s’est vérifiée dans les terribles Guerres balkaniques ayant précédé la Première Guerre mondiale, laquelle a éclaté lorsque l’Empire russe s’est porté au secours de son allié serbe face à l’Autriche-Hongrie (l'entrée en guerre de la Russie a largement reposé sur son rôle de protectrice des Slaves orthodoxes). Après la révolution bolchévique, des dizaines de milliers d’opposants au nouveau régime ont trouvé refuge en Serbie (devenue la nation dominante de la Yougoslavie nouvellement formée). Lorsque la Yougoslavie a basculé à son tour dans le camp socialiste, Belgrade a cependant vite préféré conserver son autonomie vis-à-vis de Moscou, Tito s’imposant comme l’un des dirigeants internationaux du mouvement des non-alignés.

La fraternité russo-serbe a naturellement connu un nouveau départ avec les indépendances successives des deux pays en plein effondrement du bloc communiste. Mais un événement dramatique a particulièrement rapproché les deux États, et in extenso les deux peuples : le bombardement massif en 1999 de la Serbie par l’OTAN. En proie au chaos et marginalisée sur la scène internationale, la Russie n’était malgré ses protestations pas en capacité d’intervenir en faveur de son allié pour lequel elle était entrée en guerre en 1914 : cette humiliation lui est restée jusqu’à aujourd’hui en travers de la gorge. Tout juste les Russes sont-ils intervenus à l’aéroport de Pristina deux jours après la fin de la guerre, en juin 1999. Les Serbes ont néanmoins été reconnaissants envers la Russie d’avoir été la seule puissance à véritablement les soutenir face à la coalition menée par Washington. L’élan de russophilie a été alors suffisamment porteur pour que le Parlement serbe se montre la même année favorable à ce que la Serbie intègre le projet d’union entre la Russie et la Biélorussie.

Sa puissance retrouvée, Moscou met désormais un point d’honneur à défendre jusqu’au bout ses alliés, comme le régime syrien qui aurait pu s’effondrer sans son aide militaire, ou les pseudo-républiques sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud pour lesquelles elle n’a pas hésité à attaquer la Géorgie en 2008. Quant à la Serbie, elle veille naturellement à entretenir sa relation privilégiée avec le « grand frère » russe. En avril 2019, le ministre serbe des Affaires étrangères Ivica Dacic déclarait à Moscou que « la Serbie n’est pas capable de protéger ses intérêts étatiques sans l’aide de la Russie », ou que son pays ne ferait rien pour régler durablement le contentieux autour de l’indépendance du Kosovo « sans consulter Moscou25 ». Au-delà des aspects stratégiques, de tels rapprochements prouvent à quel point les pays d'Europe de l’Est ont la mémoire longue et agissent à l’aune de celle-ci.

On observe ces dernières années un nouveau rapprochement entre Belgrade et Moscou, malgré la candidature de la Serbie à l’entrée dans l’Union européenne, son partenariat particulier avec l’OTAN (qui oblige Belgrade à un jeu d'équilibre26qui a des chances de s'éterniser27, tandis que la population est bien plus en faveur d'une alliance avec la Russie que d'une entrée dans l'OTAN, massivement rejetée28tant l'Alliance atlantique est détestée29, au contraire de Moscou qui reste populaire30), et l’aventurisme international de Vladimir Poutine. La Serbie penche à nouveau davantage vers une Russie qui tente de la placer durablement dans son orbite, en l’éloignant de l’Europe et des États-Unis. Les événements semblent s’accélérer.

Le 25 octobre 2019, la Serbie signait un accord de libre-échange avec l'Union économique eurasiatique, dont elle est devenue membre de facto. Si comme l'a souligné la Première ministre Ana Brnabic, l'accord ne remet aucunement en cause la volonté de Belgrade d'adhérer à l'UE d'ici 2025 (on peut d'ailleurs aussi voir le rapprochement de la Serbie avec l'UEEA comme un moyen de faire pression sur l'UE pour l'amener à accorder davantage d'attention et de sérieux à la candidature serbe), cette initiative traduit aussi la frustration de la Serbie devant la lenteur de son processus d'intégration à une Union européenne qui se montre peu enthousiaste à ce sujet. Une frustration et une désillusion dont profite évidemment Moscou. Bien que l'UEEA n'est clairement pas une alternative aussi attractive que l'UE, le choix de la Serbie de renforcer son intégration dans cet ensemble économique traduit la capacité de la Russie à traduire son influence historique et culturelle en victoires politiques face au manque de volontarisme des puissances du Vieux Continent.

La Russie investit globalement moins en Serbie que les grandes puissances d'Europe occidentale et contribue modestement à son développement (rappelons que la Serbie est bénéficiaire de l'instrument d'aide de préadhésion financé par l'UE). Pourtant, elle constitue aux yeux de la Serbie l'un de ses principaux bienfaiteurs, bien plus que les pays européens (idems'agissant de la Chine qui instrumentalise le moindre investissement). Moscou travaille en effet bien mieux son image. La Russie n'a pu venir en aide à l'allié serbe en 1999, mais le fait qu'elle n'ait pas participé aux opérations de l'OTAN a suffi à lui conserver la sympathie de l'opinion serbe, sympathie naturellement renforcée par l'opposition vigoureuse de Moscou à la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo. Ces deux orientations de politique étrangère sont à la fois respectables et fondées sur des éléments que l'Occident a trop négligés. Pour maintenir sa position de « grand frère » de Belgrade, Moscou n'a en revanche pas hésité à prendre des décisions plus discutables : ainsi du veto russe une résolution de l'ONU de 2008 visant à reconnaître le caractère génocidaire du massacre de Srebrenica.

Les journaux les plus lus de Serbie sont des tabloïds (Informer, Alo !, Srpski Telegraf) contrôlés par des prorusses31. Leur ligne éditoriale ne se limite pas à véhiculer un message favorable à Poutine et fait la part belle à la désinformation et aux fausses nouvelles, contribuant à diffuser une propagande hostile à l'UE et aux Occidentaux. L'implication plus directe de Moscou passe par l'activisme d'ONG russes plus ou moins liées aux pouvoirs mais à peu près toutes vouées à ancrer la Serbie dans le giron russe ; on dénombre plus d'une centaine de sites, ONG, groupes, associations diffusant « une dialectique et des valeurs pro-russes »32, selon le Center for Euro-Atlantic Studies de Belgrade (un think-tank atlantiste et pro-européen). La politique d'influence de Moscou se fait également via une instrumentalisation de la religion. L'orthodoxie étant l'un des fondements de la proximité culturelle entre Serbie et Russie, le Kremlin fait naturellement de l’Église orthodoxe serbe un élément clé de sa politique d'influence dans l'un des pays les plus religieux d'Europe. Sur le plan de l'influence politique, Moscou est en terrain conquis. Vladimir Poutine continue depuis plusieurs années d'y être le dirigeant mondial auquel les Serbes font le plus confiance.

Au cours de l'été 2019, l'industrie française de l'armement s'était félicitée de l'achat par la Serbie de systèmes de défense anti-aérienne à courte portée Mistral 3. Quelques mois plus tard, les armées serbes s'équipaient de systèmes sol-air russes Pantsir-S1. La Serbie se fournit traditionnellement auprès de la Russie et l'essentiel de ses équipements militaires sont d'origine soviétique ou russe : elle s'est engagée dans un renforcement de ce lien. Belgrade a manifesté un moment une volonté d'acquérir des systèmes de défense anti-missile russes S-400 et modernise des Mig-29 russes (provenant pour certains de l'arsenal biélorusse). Aleksandar Vucic a d'ailleurs proposé de « baptiser » les Pantsir-S1 acquis par son pays du nom de pilotes yougoslaves tués dans les affrontements contre l'OTAN en 1999. La presse prorusse dominante dans le pays n'a évidemment pas manqué de réactiver le douloureux souvenir des bombardements de la coalition menée par Washington. Quitte à sous-entendre que les systèmes sol-air achetés aux Russes pourraient servir contre... l'OTAN, avec laquelle la Serbie entretient un partenariat dont Vucic essaye de tirer le meilleur profit.

En dépit de sa relation avec l'OTAN, la Serbie renforce sa proximité militaire avec la Russie33. Dans la lignée des achats à la Russie de systèmes de défense anti-aérienne dernier cri34, l'opération « Bouclier slave - 2019 » (Slavic shield) a témoigné d'une forte valeur symbolique. La deuxième phase de ces exercices conjoints entre forces russes et serbes qui s'est déroulée du 24 au 29 octobre (coïncidant, par un hasard de calendrier, avec la signature de l'accord entre la Serbie et l'Union économique eurasienne) à la base aérienne de Batajnica (chargée de la protection de Belgrade et cible d'importants bombardements de l'OTAN en 1999 du fait de son importance) s'inscrivait dans le renouveau de la coopération militaire entre les deux « frères slaves », coopération qui devrait continuer de se renforcer.

Quidde la volonté de la Serbie d'adhérer à l'Union européenne, qui équivaudrait aux yeux de Moscou comme de Bruxelles à un éloignement de la Russie ? En étant la seule grande puissance à soutenir activement Belgrade contre la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, la Russie cherche aussi à geler un différend qui est le principal obstacle à une entrée de la Serbie dans l'Union (celle-ci étant conditionnée au règlement de la question kosovarde). La Russie a de prime abord beaucoup à perdre à voir la Serbie rejoindre les Vingt-Sept. Mais vue de Moscou, une telle issue ne marquerait pas forcément une défaite complète. En effet, la politique étrangère russe en Europe pourrait davantage bénéficier d'une adhésion pleine et entière de la Serbie à l'UE. En adaptant sa stratégie d'influence dans le pays, Moscou pourrait faire de Belgrade un cheval de Troie dans l'Union européenne. Ce scénario inquiète nombre de responsables en charge de la procédure d'adhésion de la Serbie à l'UE – au même titre que l'intrusion croissante des intérêts chinois en Serbie, où la Chine est encore plus implantée que dans d'autres pays d'Europe du Sud et orientale.

Concernant cette adhésion, on remarque que l'intérêt de la population, qui a beaucoup décliné dans les années 201035, est bien plus mitigé qu'il ne l'était à l'époque de l'extension de l'UE vers l'Est36. Les sondages de ces dernières années montrent que la part de la population serbe favorable à l'adhésion oscille généralement entre 4237, 4338ou 47%39et 50%40à 55%41, sachant qu'il est difficile de déterminer comment ces différentes aspirations pourraient se traduire dans les urnes en cas de référendum sur l'adhésion42. Bien que la plupart des études d'opinion continuent de désigner une majorité en faveur de l'entrée dans l'UE, plusieurs sondages montrent que si l'adhésion était conditionnée à la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo (et il est quasi-certain qu'elle le sera), les Serbes préféreraient rester en-dehors de l'Union plutôt que de lâcher cette région. La proportion de Serbes préférant sacrifier une adhésion à l'UE pour conserver l'intégrité territoriale de leur pays semble s'être renforcée ces dernières années selon divers sondages (elle était par exemple de 57% en 2015 selon l'International Republican Institute43). On constate en croisant différentes études que les Serbes voient davantage d'intérêt (emplois, niveau de vie, investissements, mobilité à l'étranger) dans une bonne relation avec l'UE ou une adhésion à celle-ci. L'Europe est, malgré tous les jugements négatifs qu'elle peut susciter en Serbie, perçue comme capable d'améliorer le quotidien de la population mieux que ne le ferait la Russie dans le cas d'un partenariat plus poussé avec celle-ci. Cependant, il ne s'agit clairement pas d'une préférence pour le modèle occidental incarné par l'UE face à la Russie. Les Serbes continuaient d'ailleurs à ne pas voir de contradiction entre rejoindre l'UE et conserver une forte relation avec la Russie même durant l'année de l'annexion de la Crimée44qui avait fait grimper les tensions entre Russie et Occident. Il ne faut pas non plus oublier à quel point la Serbie est toujours éloignée des standards européens sur le plan intérieur : pour reprendre une formule évocatrice, l'européanisation de la Serbie a davantage en commun avec la Hongrie de Viktor Orban qu'avec celle des démocraties d'Europe de l'Ouest45.

Le désamour vis-à-vis de la construction européenne s'explique évidemment par les échecs de celle-ci, l'Union étant devenue moins attractive qu'elle ne l'était encore au début des années 2000. L'impact des stratégies d'influence et de la « guerre de l'information » orchestrées par Moscou en Serbie n'est cependant pas à négliger. En plus d'avoir accru le rejet de l'Europe et de ses valeurs, ces campagnes d'influence ont augmenté l'attrait pour la Russie. Certains sondages douteux (comme celui cité par SputnikNews46et abondamment repris depuis) rapportent que la grande majorité des Serbes préférerait une « alliance » avec la Russie plutôt qu'une adhésion à l'UE, ce qui est peu probable tant la population différencie une attirance venue du cœur pour la Russie d'un rapprochement avec l'Union européenne guidé par la raison. Depuis quelques années, on observe cependant des signaux faibles, par exemple sur la désillusion de nombreux jeunes vis-à-vis de l'UE et leur attirance pour la Russie47, ou le fait que les jeunes Serbes sont les moins enthousiastes de tous les Balkans à l'idée de rejoindre l'Union, même lorsqu'ils sont une majorité à souhaiter l'adhésion48. Malgré le maintien d'une certaine attractivité de l'Union européenne, de nouvelles études confirment que les Serbes voient plus favorablement la Russie ou la Chine que l'Occident49. Début 2020, l'image de la Russie en Serbie restait bien plus positive que celle des puissances occidentales (avec une amélioration de 20 points depuis 2013), et n'était concurrencée que par celle de la Chine50. Au printemps 2020, la crise du COVID-19 a quant à elle permis à la Russie et à la Chine de déployer d'importants efforts d'influence en dépêchant de l'aide en Serbie. Alors que des critiques se sont élevées contre l'ingérence russe dans les troubles causés dans le pays par la gestion de la pandémie, la Chine s'est imposée aux yeux de l'opinion comme la principale pourvoyeuse d'aide humanitaire : face au risque de voir la Chine prendre trop d'influence dans la région, la Russie pourrait être amenée à redoubler d'efforts pour y défendre sa place. Les deux pays ne sont cependant pas entrés en concurrence frontale au moment de la distribution de vaccins début 2021, où ils tous deux su se placer en alternative à une Union européenne alors empêtrée dans le départ raté de la campagne de vaccination. Tandis que la Chine s'imposait en modèle d'efficacité (la Serbie a été le premier pays à valider le vaccin de Sinopharm), tandis que la Russie, avec les livraisons massives de son vaccin Sputnik-V, parvenait à renouveler son image de puissance protectrice des Serbes.

Au global, si la Serbie reste plutôt attirée par la construction européenne et lorgne de plus en plus vers Beijing, elle constitue un cas d'école de la capacité de la Russie à conserver des liens forts sur des bases empruntant notamment à l'histoire, à la culture et à l'image d'une puissance tenant tête à l'Occident projetée par Moscou. Nous sommes bien loin de la caricature d'une Russie affaiblie qui ne séduirait plus ses partenaires historiques. En revanche, l'influence de Moscou dans les Balkans faiblit bel et bien face à celles, croissantes, de la Chine, et de la Turquie d'Erdogan. La Turquie se déploie aux portes de l’Union européenne, où elle fait preuve d’un activisme sous-estimé dans les anciennes provinces ottomanes. Ankara y finance, comme ailleurs en Europe, des mosquées et des imams, des centres d'éducation religieuse, des centres culturels promouvant l'influence turque, et surtout des réseaux politico-religieux (ce qu'elle fait également en France via la DITIB ou le Millî Görüs). Tout comme Poutine est une figure tutélaire pour une partie de la population des Balkans, Erdogan est devenu une figure influente auprès d'une grande partie des populations musulmanes. Une simple anecdote en dit long sur l'aura dont bénéficie le Reis : lors de sa dernière campagne présidentielle, en 2018, Erdogan a convoqué la nostalgie de l’Empire ottoman en plein Sarajevo, devant une foule de 20 000 personnes dont des Turcs des Balkans et des Slaves musulmans venus se joindre aux Bosniaques. Le plus puissant des dirigeants bosniens, le Bosniaque51musulman Bakir Izetbegovic (auquel a succédé Sefik Dzaferovic en 2018), recevait le dictateur turc « envoyé par Dieu » avec des airs de vassal recevant son maître. Erdogan est considéré par des millions de musulmans des Balkans, turcophones ou non, comme leur leader sur la scène mondiale. La Bosnie-Herzégovine, que l’Union européenne tient trop souvent à distance, est attirée dans le giron d’une Turquie qui tente de s’immiscer aux périphéries de l’Union. Au risque de rouvrir de vieilles plaies dans les Balkans qui n’ont pas encore totalement tourné la page des conflits et montrent des signes de crise identitaire. En désignant régulièrement les États européens comme les ennemis de certaines populations des Balkans, tel qu'il l’a fait en accusant les Pays-Bas d’être responsables du massacre de Srebrenica, Erdogan jette de l’huile sur le feu. Il le fait également par la promotion d'un soft powerreposant sur le soutien de réseaux communautaires et religieux et un révisionnisme historique assumé.

Des tensions avec la Grèce et Chypre en passant par ses interventions en Syrie et en Libye et son soutien à l'Azerbaïdjan contre l'Arménie en 2020, le régime d'Erdogan a montré à quel point son discours néo-ottoman pouvait trouver une traduction concrète. Le pouvoir de nuisance du régime turc est réel. Or, si Erdogan continue d'accumuler les difficultés et une impopularité grandissante d'ici 2023, date des prochaines élections législatives et présidentielle et du centenaire de la République turque qui doit coïncider avec l'aboutissement de grands projets nationaux, il devrait accroître sa fuite en avant nationaliste et ses manœuvres de diversion à l'international. Il en est aujourd’hui plutôt à une phase de « test » de ses propres moyens, des réactions étrangères, du soutien de l'opinion, de sa capacité à ouvrir plusieurs fronts à la fois. Or, les Balkans orientaux ont tout d'une potentielle cible pour le régime turc et pourraient mieux lui prêter le flanc que la Grèce et Chypre, que l'Arménie, la Libye ou la Syrie. Une tentative de coup d'éclat dans la région apparaît comme un scénario sérieux, et pourrait susciter des troubles ; dans le cas où la Turquie d'Erdogan ne cherche pas à engager une telle « aventure » étrangère dans les Balkans orientaux, ceux-ci seront nécessairement concernés par une probable crise avec avec la Grèce et Chypre. Il est en effet hautement probable que le régime d'Erdogan cherchera d'ici 2023 à relancer ses projets en Méditerranée orientale et en mer Égée qui ont déjà entraîné de graves tensions en 2020.Si Ankara contribue à déstabiliser les Balkans, où la situation reste fragile, des heurts violents pourraient éclater et se solder par une crise migratoire localisée, et des groupes criminels ou terroristes étendraient davantage leurs activités jusque chez nous en profitant de l’instabilité de leurs pays d’origine. Nul doute que la Russie cherchera à contrer cette influence grandissante de la Turquie dans la région, tout comme elle cherche à circonscrire celle de la Chine en Serbie malgré des intérêts partagés avec Beijing. En cas de déstabilisation des Balkans, la Russie interviendra d'une manière ou d'une autre.

D'autres raisons poussent déjà Moscou à s'ingérer de manière croissante dans la région, pour l'heure par des actions liant services secrets (le GRU et le FSB ayant renforcé leur activité locale depuis les années 2010) et diplomatie. La Russie a par exemple été accusée d'être à la manœuvre dans la tentative ratée de coup d’État au Monténégro en octobre 2016 (des espions russes ont ainsi été condamnés à de la prison en 2019 en lien avec cette affaire après une longue enquête52). Cette tentative de putsch était vraisemblablement liée à la perspective d'une adhésion du Monténégro à l'OTAN (rendue effective en 2017), qui a conduit Moscou à prendre des mesures « punitives » contre Podgorica. Le minuscule Etat balkanique est soumis à des campagnes de déstabilisation de la part de la Russie qui semblent s'être renforcées depuis l'adhésion à l'Alliance. La Russie se serait également ingérée dans le différend entre la Grèce et l'ancienne république yougoslave de Macédoine, à l'époque où les deux pays concluaient un accord sur le nom de cette dernière, qui s'appelle officiellement depuis 2019 la Macédoine du Nord. Athènes, pourtant réputée proche de Moscou, est allée jusqu'à expulser des diplomates russes accusés d'avoir cherché à saboter l'accord gréco-macédonien, Moscou ayant répondu par une mesure réciproque53. Un accord sur le nom de la Macédoine du Nord était en effet le dernier obstacle majeur à une adhésion de celle-ci à l'UE et à l'OTAN ; Skojpe a rejoint l'Alliance atlantique en mars 2020. Du fait de l'activisme et des intérêts russes dans la région, certains analystes évoquent désormais la possibilité d'une intervention des forces russes, notamment au Monténégro. Un ancien cadre du Département d’État américain à l'époque d'Obama, Jeffrey Stacey, avançait en 2018 qu'une agression russe contre le Monténégro marquerait la fin de l'OTAN qui n'oserait réagir par la force pour protéger le plus faible de ses membres54. On émettra des doutes sur la crédibilité d'une telle issue pour l'Alliance atlantique, d'autant que ce scénario a été évoqué dans le contexte particulier de la présidence de Donald Trump, mais la perspective d'une opération de guerre hybride de la part de la Russie pourrait par exemple être plausible. Dans le cadre du recueil « Conflicts to come » publié par le prestigieux International Institute for Strategic Studies, regroupant des scénarios d'experts des questions stratégiques pour 2030, un chercheur auprès du même institut, Franz-Stefan Gady, imaginait deux ans plus tard une intervention russe au Monténégro, qui permettrait à Moscou d'imposer un fait accompli55. Un scénario plausible. Au vu de tout ce qui précède, une prochaine surprise stratégique aura-t-elle lieu dans les Balkans ?

Revenons à l'Europe du Nord dont nous avons abordé la situation plus haut. On retient que les pays scandinaves, Suède et Norvège en tête, ont des raisons de s'inquiéter d'une potentielle menace de la part de la Russie, d'abord parce que celle-ci multiplie les menaces militaires et diplomatiques. On observe également que des États ayant jusqu'ici compté parmi les plus pacifistes du monde en viennent à concevoir d'être emportés dans une guerre entre États, au point de réarmer sur les plans politique, civique, et militaire, face à une Russie qui montre régulièrement à ses voisins nordiques qu'elle se prépare à l'éventualité d'une telle issue. Par ses provocations et exercices risqués dans la région, la Russie pourrait déclencher un incident militaire ou diplomatique grave. Or, le scénario d'un incident, d'une erreur d'interprétation, fait partie de ceux susceptibles de déclencher une escalade militaire qui pourrait vite dégénérer en affrontement. Lorsque le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Thierry Burkhard, avance que « nos adversaires nous testent de plus en plus durement, sans craindre d’aller à l’incident […]le moindre incident peut dégénérer en escalade militaire non maîtrisée56 », rejoignant les craintes de l'OTAN dont un cadre estime de même source que « le combat futur avec la Russie ne procédera pas d’une invasion, mais peut-être d’une erreur de calcul qui nous entraînera », il illustre la gravité du risque. L'un des meilleurs spécialistes français des questions de défense, Pierre Servent, estime également que « ces gesticulations [russes] pourraient bien un jour déraper et créer un incident grave avec l'OTAN57 ». Une éventuelle guerre contre la Russie commencera-t-elle en Europe du Nord ?

Aurélien Duchêne

Sources et notes :

1Laurent Lagneau, « Des avions russes ont survolé des navires français au moins à 8 reprises depuis l’été 2017 », Opex360, 22 avril 2018, http://www.opex360.com/2018/04/22/avions-russes-ont-survole-navires-francais-a-8-reprises-lete-2017/

2Mark Hookham, Tim Ripley, « British submarine in duel with Kremlin’s ‘Black Hole’ hunter-killer », The Times, 15 avril 2018, https://www.thetimes.co.uk/article/british-submarine-in-underwater-duel-with-kremlins-black-hole-hunter-killer-dhxhlpwc9

3« La France accuse la Russie de tentative d’espionnage par satellite », Le Monde, 7 septembre 2018, https://www.lemonde.fr/international/article/2018/09/07/paris-revele-une-tentative-d-espionnage-russe-sur-un-satellite-franco-italien-en-2017_5351908_3210.html

4« NATO Says 90 Percent Of Air Intercepts In 2020 Involved Russian Planes », 28 décembre 2020, Radio Free Europe/Radio Liberty, https://www.rferl.org/a/nato-russian-planes-intercepts/31023135.html

5« Russian jets practised attacks on Sweden », The Local (édition suédoise), 22 avril 2013, https://www.thelocal.se/20130422/47474

6David Cenciotti, « Russia Simulated A Large-Scale Aerial Night Attack On Sweden », Business Insider, 22 avril 2013, https://www.businessinsider.com/david-cenciotti-russia-simulated-a-massive-aerial-attack-2013-4

7« Ministry confirms "grave" Russian violation of Swedish airspace », Sverigesradio (Radio Suède), 19 septembre 2014, https://sverigesradio.se/artikel/5969481

8David Cenciotti, « Two Russian attack planes intentionally violated the Swedish airspace to probe local air defense », The Aviationist, 19 septembre 2014, https://theaviationist.com/2014/09/19/su-24-violated-swedish-airspace/

9Thomas Nilsen, « 11 Russian fighter jets made mock attack on Norwegian Arctic radar », The Barents Observer, 12 février 2019, https://thebarentsobserver.com/en/security/2019/02/11-russian-fighter-jets-made-mock-attack-norwegian-arctic-radar

10Joseph Trevithick, « Norway Says Russian Aircraft Ran Mock Attacks On A Secretive Radar Base », The Drive, 18 mars 2018, https://www.thedrive.com/the-war-zone/19047/norway-says-russian-aircraft-ran-mock-attacks-on-a-secretive-radar-base

11« Antimissiles : la Russie avertit le Danemark », Le Figaro, 22 mars 2015, https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/03/22/97001-20150322FILWWW00127-antimissiles-la-russie-avertit-le-danemark.php

12« Russia lashes out at ‘hostile’ Denmark », The Local (édition danoise), 27 mai 2016, https://www.thelocal.dk/20160527/russia-lashes-out-at-hostile-denmark

13Christian Wienberg, « Russia Says Meddling in Danish Elections Would Make ‘No Sense’ », Bloomberg, 25 juillet 2018, https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-07-25/russia-says-meddling-in-danish-elections-would-make-no-sense

14« Report confirms 'one-week defence' analysis », The Local, 15 février 2013, https://www.thelocal.se/20130215/46212

15« If crisis or war comes », version anglaise sur dinsakerhet.se : https://www.dinsakerhet.se/siteassets/dinsakerhet.se/broschyren-om-krisen-eller-kriget-kommer/om-krisen-eller-kriget-kommer---engelska-2.pdf

16Laurent Lagneau, « Pour la première fois depuis 70 ans, la Suède réactive un régiment pour assurer la défense de l’île de Gotland », 21 mai 2018, Opex360, http://www.opex360.com/2018/05/21/premiere-70-ans-suede-reactive-regiment-assurer-defense-de-lile-de-gotland/

17« La Suède déploie un nouveau système de défense anti-aérien en mer Baltique », Le Figaro, 1er juillet 2019, https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-suede-deploie-un-nouveau-systeme-de-defense-anti-aerien-en-mer-baltique-20190701

18David Crouch, « Swedish navy returns to vast underground HQ amid Russia fears », The Guardian, 30 septembre 2019, https://www.theguardian.com/world/2019/sep/30/swedish-navy-returns-to-vast-underground-hq-amid-russia-fears

19Aurélien Duchêne, « Pourquoi Macron devrait s'intéresser aux réformes suédoises », blog personnel, 24 octobre 2017, https://aurelien-duchene.fr/pourquoi-macron-devrait-sinteresser-aux-reformes-suedoises/

20« Inquiète face aux ambitions russes, la Suède s'arme massivement », Le Point, 21 octobre 2020, https://www.lepoint.fr/europe/inquiete-face-aux-ambitions-russes-la-suede-s-arme-massivement-21-10-2020-2397495_2626.php

21George Allison, « Norwegian military ‘too small to defend Norway’ claims defence chief », UK Defence Journal, 3 octobre 2019, https://ukdefencejournal.org.uk/norwegian-military-too-small-to-defend-norway-claims-defence-chief/

22Version anglaise : Norwegian Intelligence Service, « Focus 2020 : The Norwegian Intelligence Service’s assessment of current security challenges », site des forces armées norvégiennes (Forsvaret), 10 février 2020, https://forsvaret.no/presse_/ForsvaretDocuments/Focus2020-web.pdf

23Brian Kerr, « The Nordic Council believes China is a threat to the Nordic countries », Norway Today, 3 novembre 2019, https://norwaytoday.info/finance/the-nordic-council-believes-china-is-a-threat-to-the-nordic-countries/

24« "Un épisode sérieux qui affecte notre institution" : la Norvège accuse la Russie d’être derrière une cyberattaque contre son Parlement », Le Monde, 13 octobre 2020, https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/13/un-episode-serieux-qui-affecte-notre-institution-la-norvege-accuse-la-russie-d-etre-derriere-une-cyberattaque-contre-son-parlement_6055884_4408996.html

25« L’actu en capitales : Belgrade refuse de s’éloigner de la Russie », Euractiv, 18 avril 2019, https://www.euractiv.fr/section/politique/news/serbia-says-it-cannot-protect-its-interests-without-russia/433999/

26Jean-Arnault Dérens, « La Serbie, ballottée entre la Russie et l’Union européenne », Le Temps, 24 avril 2016, https://www.letemps.ch/monde/serbie-ballottee-entre-russie-lunion-europeenne

27Vuk Vuksanovic, « Why Serbia Won’t Stop Playing the Russia Card Any Time Soon », The Moscow Times, 29 octobre 2019, https://www.themoscowtimes.com/2019/10/29/why-serbia-wont-stop-playing-the-russia-card-any-time-soon-a67953

28Policy Department, Directorate-General for External Policies (Parlement européen), « Serbia’s cooperation with China, the European Union, Russia and the United States of America », site du Parlement européen, novembre 2017, p. 40-41, https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2017/603854/EXPO_STU(2017)603854_EN.pdf

29« Western Balkans between East and West, public opinion research in Bosnia and Herzegovina, Macedonia, Montenegro, Serbia, November 2018 », site du National Democratic Institute, 25 janvier 2019, https://www.ndi.org/sites/default/files/Download%20Report_1.pdf

30Center for Insights in Survey Research, Western Balkans Regional Poll February 2, 2020 - March 6, 2020, https://www.iri.org/sites/default/files/final_wb_poll_for_publishing_6.9.2020.pdf

31Charles Haquet, Mersiha Nezic, « Serbie, le terrain de jeu de Poutine », L'Express, 20 avril 2019, https://www.lexpress.fr/actualite/monde/serbie-le-terrain-de-jeu-de-poutine_2068073.html

32Cédric Riedmark, « L’influence Russe en Serbie, mythe et réalité », Revue Conflits, 3 octobre 2018, https://www.revueconflits.com/linfluence-russe-en-serbie-mythe-et-realite/

33« Pentagon Report: Serbia has intensified relations with Russia since 2012 », European Western Balkans, 28 novembre 2019, https://europeanwesternbalkans.com/2019/11/28/pentagon-report-serbia-has-intensified-relations-with-russia-since-2012/

34Michel Chabirol, « Armement : la Serbie se rapproche fortement de la Russie », La Tribune, 4 novembre 2019, https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/armement-la-serbie-se-rapproche-fortement-de-la-russie-832241.html

35Center for Insights in Survey Research, Survey of Serbian Public Opinion November 24 – December 3, 2015 https://www.iri.org/sites/default/files/wysiwyg/serbia_november_2015_poll_public_release.pdf

36« European orientations of Serbians citizens, Public Opinion Poll (June - July 2019) », site du ministère serbe de l'Intégration européenne, juillet 2019, https://www.mei.gov.rs/upload/documents/nacionalna_dokumenta/istrazivanja_javnog_mnjenja/opinion_poll_july_19.pdf

37Snezana Bjelotomic, « 42% people in Serbia in favour of EU membership »,  Serbian monitor, 27 décembre 2018, https://www.serbianmonitor.com/en/42-people-in-serbia-in-favour-of-eu-membership/

38Cédric Riedmark, « L’influence Russe en Serbie, mythe et réalité », Revue Conflits, op. cit.

39« 47% of Citizens support Serbian Membership to the EU », European Western Balkans, 6 février 2017, https://europeanwesternbalkans.com/2017/02/06/47-of-citizens-support-serbian-membership-to-the-eu/

40Julija Simic, « Most Serbs support EU membership, cite job opportunities, in new poll », Euractiv, 25 janvier 2018, https://www.euractiv.com/section/enlargement/news/most-serbs-support-eu-membership-cite-job-opportunities-in-new-poll/

41Radomir Ralev, « Support for EU accession in Serbia at 53% - poll », SeeNews, 26 août 2019, https://seenews.com/news/support-for-eu-accession-in-serbia-at-53-poll-666492

42José Alvarado Tags, « Assessing Serbian enthusiasm for EU membership », Europe Elects, 11 janvier 2019, https://europeelects.eu/2019/01/11/assessing-serbian-enthusiasm-for-eu-membership/

43Center for Insights in Survey Research, Survey of Serbian Public Opinion, op. cit.

44Andreas Poltermann, « Serbia Caught between Two Chairs? Does Serbia Want to be Part of the Russian Sphere of Influence or Join the European Union ? », Heinrich Böll Stiftung – Belgrade, 10 décembre 2014, https://rs.boell.org/en/2014/12/10/serbia-caught-between-two-chairs-does-serbia-want-be-part-russian-sphere-influence-or

45Dimitar Bechev, « Is Russia Winning in Serbia ? Maybe, But Not for the Reasons You Think », Atlantic Council, 10 avril 2017, https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/is-russia-winning-in-serbia-maybe-but-not-for-the-reasons-you-think/

46« Sondage: 61% des Serbes préfèrent une alliance avec la Russie plutôt qu'avec l'UE », SputnikNews, 6 juillet 2015, https://fr.sputniknews.com/international/201507061016863557/

47« Serbie : les jeunes préfèrent la Russie à l'UE », Le Courrier des Balkans, 7 août 2016, https://www.courrierdesbalkans.fr/les-jeunes-serbes-n-aiment-pas-l-ue

48Dominik Istrate, « Poll : Young Serbs choose moving to Europe over EU membership », Emerging Europe, 16 mai 2019, https://emerging-europe.com/news/poll-young-serbs-choose-moving-to-europe-over-eu-membership/

49« Western Balkans between East and West, public opinion research in Bosnia and Herzegovina, Macedonia, Montenegro, Serbia, November 2018 », site du National Democratic Institute, op. cit.

50Center for Insights in Survey Research, Western Balkans Regional Poll February 2, op. cit.

51Les Bosniens sont les citoyens de Bosnie-Herzégovine et peuvent être bosniaques, serbes ou croates ; les Bosniaques appartiennent à l’ethnie bosniaque et peuvent être membres de la diaspora bosniaque et ne pas être de nationalité bosnienne.

52Shaun Walker, « Alleged Russian spies sentenced to jail over Montenegro 'coup plot' », The Guardian, 9 mai 2019, https://www.theguardian.com/world/2019/may/09/montenegro-convicts-pro-russia-politicians-of-coup-plot

53« Athènes et Moscou expulsent mutuellement des diplomates », France 24, 11 juillet 2018, https://www.france24.com/fr/20180711-expulsions-mutuelles-diplomates-grece-russie-athenes-moscou-macedoine-nord-russes

54Jeffrey A. Stacey, « A Russian Attack on Montenegro Could Mean the End of NATO », Foreign Policy, 27 juillet 2018, https://foreignpolicy.com/2018/07/27/a-russian-attack-on-montenegro-could-mean-the-end-of-nato-putin-trump-helsinki/

55Franz-Stefan Gady, « The Viber invasion : how Russia occupied Montenegro », in « Conflicts to come : 15 scenarios for 2030 », International Institute for Strategic Studies, décembre 2020, p. 51,  https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/CP_161.pdf

56Nathalie Guibert, « L’armée de terre française envisage de futurs affrontements "Etat contre Etat" », Le Monde, 17 juin 2020 https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/la-france-se-prepare-a-endurcir-l-armee-de-terre_6043162_3210.html

57Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Paris, éditions Perrin, coll. « Tempus », 2017, p. 60.