Pourquoi le rapprochement avec l'Italie risque (hélas) de tourner court
Macron a fait un pas vers Rome en se disant favorable à un « Traité du Quirinal ». Mais peu importe qui gouvernera l'Italie après les élections dans quelques semaines, nous risquons une prochaine confrontation franco-italienne pour des raisons bassement politiciennes. Pour le malheur de l'Europe.
Macron a fait un pas vers Rome en se disant favorable à un « Traité du Quirinal ». Mais peu importe qui gouvernera l'Italie après les élections dans quelques semaines, nous risquons une prochaine confrontation franco-italienne pour des raisons bassement politiciennes. Pour le malheur de l'Europe.
La réunion À Rome du groupe EuroMed 7 – groupe informel, fort peu connu en France, réunissant notre pays, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Malte, la Grèce et Chypre – s’est achevée sur une heureuse surprise concernant la politique européenne d’Emmanuel Macron. En effet, lors d’une conférence de presse commune avec Paolo Gentiloni, le Président français s’est déclaré favorable à la signature d’un « Traité du Quirinal », qui serait un équivalent franco-italien du fameux Traité de l’Élysée. Enfin ! Un Président français en exercice reconnaît l’importance d’un véritable couple franco-italien au sein de la construction européenne. L’événement est à première vue d’autant plus encourageant qu’Emmanuel Macron semblait être plus enfermé encore que ses prédécesseurs dans le dogme du couple franco-allemand vu comme seule source d’approfondissement du projet européen, et comme une sorte d’étoile polaire des relations bilatérales françaises. L’événement n’a évidemment pas fait grand bruit, bien que la presse de ces dernières 48 heures ait trouvé une belle formule pour résumer la logique de ce rapprochement franco-italien : « le couple franco-allemand est essentiel, mais pas exclusif », dixit Anastasia Becchio pour RFI. Dans une interview publiée sur ce site à l’automne dernier, Rafik Smati confiait son souhait d’un rapprochement franco-italien, que je défends également. Nous ne pouvons que nous féliciter de la voie choisie par M. Macron.
On se souvient qu’un premier réchauffement des relations avec Rome avait eu lieu à l’occasion du sommet franco-italien de septembre dernier, après des mois de crispations, à peine médiatisées en France mais particulièrement débattues en Italie, autour notamment des projets de Vincent Bolloré outre-Alpes. Fin novembre, alors que montait déjà l’inquiétude d’une victoire du M5S aux élections du printemps prochain, le nouveau leader de la formation créée par Beppe Grillo s’était adressé à Emmanuel Macron pour confirmer le virage proeuropéen pris par son parti, alors que l’on pouvait légitimement s’attendre à ce que le M5S fasse de la France macronienne une cible idéale, ce qui devrait toutefois être le cas comme nous le verrons plus bas. Car tout porte à croire que ce rapprochement franco-italien inespéré est voué à l'échec pour des raisons bêtement politiciennes. Paolo Gentiloni, avec qui Macron affiche son entente, ne va pas rester longtemps au Palazzo Chiggi. Gentiloni est aujourd'hui un allié pro-européen rassurant, mais il s’en ira au printemps prochain.
Le futur pouvoir italien ne sera probablement pas pro-européen
Les derniers sondages publiés les premiers jours de janvier prédisent une défaite de la majorité sortante du Parti Démocrate, bloqué entre 20 et 24% d'intentions de vote là où le M5S est autour de 28% et la coalition de « centre-droit » (qui rassemble aux côtés de Forza Italia la Ligue du Nord de Salvini, qu'on ne présente plus, mais aussi la petite formation « Fratelli d'Italia » de Giorgia Meloni, plus radicale encore que celle de Salvini) à 34-39%. Bien que Salvini risque à mon sens de devenir leader de la droite italienne en nombre de voix d'ici mars, son réservoir d'électeurs se situe avant tout chez ses alliés : la coalition de centre-droit n'aura donc pas de quoi constituer seule une majorité au parlement. Quant au M5S, incapable de se bâtir à lui seul une majorité, il est à peu près certain qu'il devra briser sa promesse maintes fois répétée de ne s'allier à aucune des « vieilles » formations.
Il est pratiquement exclu que le Parti Démocrate s'allie avec Forza Italia et quelques partis centristes dont ceux qui participaient déjà aux gouvernements Renzi et Gentiloni : la solution d'une coalition centriste et pro-européenne est un voeu pieu vu le climat politique ambiant. Une alliance entre le M5S, l'aile gauche du PD et les petits partis à la gauche de celui-ci est tout aussi invraisemblable. Si une telle alliance de gauche devait voir le jour, celle-ci serait davantage partisane d'un virage à 180° dans la construction européenne que d'une posture eurosceptique, mais soyons réalistes : le programme commun de cette coalition exigerait de creuser ne serait-ce que temporairement les déficits italiens face auxquels M. Macron sera intransigeant même si son propre bilan budgétaire est peu brillant, et de mener des réformes à l'opposé de l'esprit de celles entreprises par LREM à l'automne dernier. Macron prendrait vite ses distances avec un gouvernement M5S-gauchistes. L'autre solution, celle d'une alliance entre l'actuelle coalition de centre-droit et de petits partis centristes, n'aurait pas de majorité sérieuse au Parlement, d'autant qu'on voit mal les post-fascistes de Giorgia Meloni s'allier avec des centristes européens. Une alliance à trois entre le M5S, la Ligue et Fratelli d'Italia est elle aussi peu probable. Une alliance entre le M5S et la seule Ligue de Salvini, si celle-ci devait devenir le premier parti de droite, n'est en revanche pas invraisemblable à mes yeux. On a beaucoup parlé, ces dernières semaines d'une coalition « jamaïcaine » en Allemagne, entre les « noirs » de la CDU, les Verts et les « jaunes » libéraux-démocrates : une coalition entre le jaune du M5S et le vert de la Ligue (ou le bleu, c'est selon) sera peut-être le scénario final de la recomposition politique en Italie. Dans ce cas, nous serions en présence d'un gouvernement ouvertement eurosceptique, les principales lignes de convergence entre la Ligue et le M5S étant la plupart du temps opposées à l'Europe, et plus particulièrement à l'Europe telle que promue par Emmanuel Macron.
La lutte entre le Camp du Bien et le « populisme » va ranger l’Italie dans l’Axe du Mal combattu par Macron
Or, Macron, que l'on a présenté l'an dernier comme un premier rempart face à l'inexorable montée du « populisme » (qui devrait comme dit plus haut finir par conquérir le pouvoir en Italie), fera tout pour se présenter comme le leader du projet européen. N'a-t-on sinon pas entendu ces dernières semaines que notre Président-Messie à qui les événements semblent pour l'instant toujours sourire est devenu le véritable maître politique de l'Europe du fait de l'affaiblissement intérieur de Mme Merkel ? Celui qui a été élu face à Marine Le Pen et a pour principaux opposants un Mélenchon pourtant en perte de vitesse, et un Laurent Wauquiez dont on ne s'étendra pas sur la stratégie crypto-lepéniste, rééditera en Europe la lutte binaire entre le Camp du Bien et la menace populiste. Lutter contre la Pologne malgré ses dérapages de politique intérieure, ou contre le caricatural Viktor Orban, ne suffira pas. L'Italie, principal berceau de notre civilisation européenne, va sans doute devenir le prochain porte-drapeau de l'euroscepticisme dur, moins de quatre ans après le triomphe du regretté Matteo Renzi qui devrait, pour le malheur de son pays, subir une écrasante défaite en mars prochain. Macron fera de Rome un épouvantail commode. Quant aux futurs dirigeants italiens, quel comportement auront-ils envers la France ? Probablement une attitude offensive. Premièrement parce que si le M5S et Salvini arrivent à surmonter leurs différences et à former un gouvernement d'union populiste, il faudra que l'un prenne l'ascendant sur l'autre, et cela passe par la lutte contre un bouc-émissaire facile, qui peut être la France « progressiste », pro-européenne et (soi-disant) libérale de Macron. Aussi parce que sur la plupart des dossiers franco-italiens, notre pays s'est mal comporté. Un seul exemple : la crise migratoire.
La crise migratoire, enjeu de tensions prochaines avec Rome
Car qu'importe qui gouvernera l'Italie dans les prochains mois, ses dirigeants ne manqueront pas de dénoncer notre politique migratoire. C'est l'Italie qui a dû faire face à l'arrivée de centaines de milliers de migrants (dont une minorité de réfugiés) qu'elle n'avait pas les moyens de prendre en charge, et ce sont des gouvernements comme ceux de Hollande et Macron qui ont refusé d'en accueillir une partie. C'est l'Italie qui a appelé l'Europe à l'aide, et ce sont hélas des dirigeants comme ceux de la France qui sont restés sourds à cet appel. Surtout, notre actuel Président ayant l’habitude de sermonner tous ceux qui n’entrent pas dans sa ligne (sauf s’agissant de dirigeants plus puissants que lui), on peut s’attendre à ce que la start-up nation délivre des leçons de morale aux Italiens lorsque ceux-ci mettront en œuvre une politique migratoire fortement restrictive. La France va continuer de traiter les migrants de la manière dont le fait Gérard Collomb, mais ne se privera pas de hurler à l’indécence et au fascisme lorsque l’Italie qui en accueille des centaines de milliers demandera que nous en prenions une partie, ou bloquera les nouveaux arrivants (si Trump tient ses promesses, pourquoi un homme à poigne comme Salvini se priverait-il de passer des paroles aux actes en cas d’arrivée au pouvoir ?). La crise migratoire viendra vite assombrir les relations franco-italiennes.
L’arrogance française et l’opportunisme des « populistes » italiens risquent de plomber les relations franco-italiennes
Comme dit au tout début de cet article, la France semble enfin prendre au sérieux la relation avec l’Italie. Or, depuis des décennies, notre complexe de supériorité, d’une part, et le manque de vision stratégique de nos dirigeants, d’autre part, ont amené Paris à traiter Rome comme un partenaire secondaire, et à mécontenter fortement nos amis d’outre-Alpes. Nicolas Sarkozy a déstabilisé la Libye sans écouter les Italiens malgré leur connaissance des enjeux libyens et a refusé d’aider l’Italie dans les débuts de la crise migratoire. François Hollande, qui parlait de renégocier les traités européens et d’infléchir la politique européenne impulsée par Mme Merkel, n’a pas eu le courage de s’associer à Enrico Letta et Matteo Renzi pour engager une politique de soutien à l’activité et une réforme de la zone euro. Il a laissé les Italiens seuls face à l’afflux de migrants au plus fort de la crise. Emmanuel Macron semble en ce début d’année 2018 faire un pas en direction de Rome. Mais sa décision de revoir les négociations avec Fincantieri malgré les accords approuvés par son prédecesseur est encore plus mal passée auprès des Italiens que d’autres dossiers industriels sensibles. Rappelons que si la France s’inquiète régulièrement de voir ses fleurons bradés à l’étranger ou cédés à des intérêts occultes (la prochaine réforme de la SNCF va évidemment déchaîner les passions à ce sujet), les Italiens ont quant à eux peur de ce qu’ils croient être un impérialisme économique français. Ainsi du rachat par des Français d’entreprises comme Parmalat ou Bulgari, ou de la tentative de Vincent Bolloré, vivement critiquée en Italie, de se bâtir un empire médiatique (voir les polémiques autour de Mediaset ou de TIM). On l’oublie, mais il n’y a pas que le foot, le vin et les œuvres italiennes supposément volées par les Français pour remplir leurs musées parmi les différends franco-italiens. L’Italie nourrit à notre égard un complexe d’infériorité comparable à celui que nous avons vis-à-vis de l’Allemagne, et nous avons nous-mêmes un complexe de supériorité vis-à-vis de l’Italie. Tout devrait rapprocher nos deux pays, mais de l’opération Harmattan aux dossiers industriels, et de la crise migratoire à la zone euro, les sujets de discorde sont pour le moment très nombreux. Et tout porte à croire que ces différends si facilement surmontables vont largement plomber les relations franco-italiennes dans les mois à venir malgré l’excellente nouvelle de ce début d’année. Nous pouvons d'ores et déjà imaginer un beau gâchis en perspective...