De l'héritage de 1945 à la France de 2045 : une stratégie pour refonder le modèle français
Aujourd’hui se décide en partie ce que sera le monde en 2030, et se prépare ce qu'il sera en 2050. Le constat vaut pour l’ensemble des prochaines années. Nous vivons l'une de ces périodes d'accélération de l'Histoire où peut se jouer le destin de nations entières. Nous vivons une période faite de tendances irréversibles et de ruptures inattendues, d'innovations porteuses d'enthousiasme ou d'inquiétude, de changements politiques et de basculements géopolitiques. Nous vivons une phase de destruction créatrice où de nouveaux géants économiques remplacent ceux d'hier, où des puissances émergentes rattrapent des puissances établies, où des événements imprévus rebattent les cartes. Nous vivons, enfin, une séquence incertaine dont la pandémie n’aura été qu'un aspect, fût-ce son bilan humain tragique et ses conséquences durables : elle peut être marquée par un véritable tournant face à l'urgence écologique, comme elle peut être marquée par des conflits armés entre grandes puissances ; elle est caractérisée par de vertigineuses avancées technologiques, autant que par les passions nationales et religieuses.
De la manière dont nous aborderons ces bouleversements historiques dépendra l'avenir de notre économie, de notre modèle social, de notre sécurité, de notre cohésion nationale, de notre place dans le monde. Face aux menaces et opportunités qui sont devant nous, notre pays peut décrocher ou rebondir, les Français peuvent subir les transformations du monde ou mieux vivre demain. Le scénario le plus probable, déjà entamé dans bien des domaines et pour beaucoup de nos compatriotes, est le déclin de notre pays et le déclassement de ses habitants, jusqu'à la décadence. Mais notre pays, notre peuple ont encore la possibilité d'éviter ce scénario ; avec un projet capable de répondre aux urgences qui minent la France et de préparer l'avenir, nous pouvons faire bien mieux que de nous adapter aux transformations du monde. Nous pouvons redevenir le laboratoire d'un nouveau modèle économique, social, écologique et démocratique, un phare qui rayonne par sa culture, sa qualité de vie, son génie scientifique et sa diplomatie. Nous pouvons engager la France dans une véritable renaissance.
La décadence, ou la renaissance. Voilà quel est le véritable enjeu, pour la France et pour chacun d'entre nous. Voilà quel doit être l'enjeu ultime des toutes prochaines années.
Mais ce n'est pas sur cette base que se joue notre vie publique, comme l’a montré la dernière élection présidentielle. Les Français ont à juste titre d'autres priorités, qui sont aussi celles du pays et doivent être celles de ses prochains dirigeants. Des priorités qui ne sont en rien incompatibles avec l'enjeu évoqué plus haut, puisqu'elles lui sont liées à terme d'une manière ou d'une autre ; on ne pourra pas projeter la France dans l'avenir tant que nous n'aurons pas résolu ses problèmes les plus urgents. Ce nouveau quinquennat est d’abord l'occasion de faire des choix qui toucheront à notre quotidien, de nos revenus en fin de mois aux services publics les plus proches, de notre sécurité sociale à la sécurité dans nos rues, de nos conditions de travail à celles de notre retraite. Mais sur ces sujets qui nous préoccupent tous, les attentes risquent une nouvelle fois d'être déçues.
Pouvoir d'achat, protection sociale, éducation, santé, sécurité, immigration, environnement, emploi : les candidats à la présidentielle de 2022 ont multiplié comme à chaque scrutin les promesses sur les priorités des Français, et continueront de le faire dans les années qui viennent. Parfois avec sérieux, parfois avec démagogie, mais le plus souvent sans aller au fond de la résolution de problèmes aussi cruciaux. De propositions décapantes, mais irréalisables, en mesures raisonnables, mais insuffisantes, de réformes techniques budgétées en déclarations d'intention, les programmes des candidats répondent aux besoins de la campagne électorale, mais beaucoup moins aux besoins réels du pays.
Quant aux grands enjeux stratégiques, technologiques, écologiques ou culturels qui dépassent à la fois le cadre d'un quinquennat et celui de la seule France, ils sont traités avec dédain. Ces questions si essentielles pour la souveraineté de notre pays et son avenir sur la scène internationale ne sont souvent abordées que sous la forme de truismes désincarnés ou de discours grandiloquents. Une négligence d'autant plus regrettable que les compétences d'un président de la République, arbitre au-dessus des partis, chef des armées et responsable de la politique étrangère, sont d'abord liées à des questions peu abordées dans le cadre des élections, et pour lesquelles les candidats élus n'ont généralement pas une expertise et une préparation à la hauteur de la fonction.
Qu'il s'agisse de traiter les problèmes urgents ou de préparer l'avenir, les candidats à l'élection présidentielle et leurs programmes répètent la même erreur qu'aux précédents scrutins : ils sont davantage concentrés sur la conquête que sur l'exercice du pouvoir.
L'exercice du pouvoir entre impréparation et improvisation
C'est le cas des partis qui ont gouverné la France hier et la gouvernent aujourd'hui, malgré leur expérience, la présence de leurs élus dans les institutions locales et nationales, et le sérieux apparent de leur projet.
Sur les questions économiques, d'abord. Préparer l'exercice du pouvoir n'implique pas seulement de répartir de futurs postes ministériels, de préparer des réformes techniques ou de chiffrer nouvelles dépenses et baisses d'impôts : lorsque l'on parle, par exemple, de faire des économies, il faut identifier sur plusieurs années les secteurs où réduire les dépenses, ce que les favoris de l'élection présidentielle n'ont fait que de manière superficielle. Comment s'étonner que les réformes soient difficiles à mettre en œuvre lorsqu'elles n'ont pas été suffisamment préparées ? Ainsi de la dernière réforme des retraites : celle-ci avait été évoquée de manière floue durant la présidentielle de 2017, avant de n'être approfondie qu'au cours du quinquennat, puis d'être présentée au Parlement alors que de nombreuses questions restaient en suspens. Cette réforme était donc mal préparée, compliquant sa mise en œuvre et rendant illisible l'action du gouvernement, et surtout sans vraie légitimité démocratique puisque le projet présenté aux Français était encore à l'état d'ébauche.
Au regard des programmes des différents candidats, ce type de réformes mal préparées et sans mandat clair a toutes les chances de se répéter au cours du quinquennat suivant. Ce sera notamment le cas lorsqu'il faudra réaliser des économies substantielles qui aujourd'hui ne sont pas chiffrées et sans lesquelles il n'y aura pas de baisses d'impôts et de crédits supplémentaires pour les politiques publiques dans le besoin. Les promesses sur l'augmentation du pouvoir d'achat, par exemple, ne sont pas crédibles sans piste sérieuse de financement des hausses de salaires et/ou des baisses d'impôt, et surtout sans propositions à la hauteur pour augmenter dans la durée le taux d'emploi et la création de richesses. Les promesses pour les hôpitaux ne résoudront pas nos problèmes et ne seront pas finançables sans réformes d'ampleur qui permettront de concentrer les moyens sur les besoins prioritaires tout en réduisant la pression sur le système hospitalier par une meilleure répartition des soins entre l’offre libérale et hospitalière et une meilleure répartition des ressources entre l'administration de gestion et l’administration de terrain, dans le domaine de la santé comme ailleurs.
Sur les questions liées à la sécurité, l'identité et l'apaisement de la société française, ensuite. C'est une chose d'enchaîner au cours de la campagne électorale les slogans énergiques et les propositions choc, à base d'énièmes lois pour la sécurité intérieure ou de propositions polémiques sur la laïcité ; c'en est une autre de résoudre ensuite de tels problèmes une fois au pouvoir. Or, comme durant les quinquennats précédents, les futurs gouvernements ne pourront pas combattre l'insécurité avec des lois qu'ils ne se donnent pas les moyens d'appliquer faute d'avoir prévu de quoi les financer, d'autant que certaines promesses nées de la surenchère sécuritaire seront en réalité inapplicables aux plans pénal et constitutionnel. Il en va de même pour les questions identitaires : multiplier les dispositifs sur la laïcité ou l'immigration ne réglera pas le fond de nos problèmes.
Sur les défis de notre temps, enfin. Alors que notre pays est encore aux prises avec la pandémie de Covid-19, nul ne sait quelles seront les « surprises stratégiques » de ce genre au cours du quinquennat qui vient. En revanche, nous pouvons être à peu près sûrs d'une chose : les principaux candidats à la présidentielle ne font pas de la préparation de notre pays aux chocs susceptibles de survenir une priorité. A titre d'exemple : les nouvelles menaces envers la sécurité nationale, avec la perspective de conflits de haute intensité dans un futur proche. Pour que notre pays puisse faire face à ces risques de plus en plus sérieux, voire probables, il lui faudra aller beaucoup plus loin dans le redressement de ses capacités militaires, ce qui implique de faire de l'augmentation du budget de la défense une priorité du prochain quinquennat. Nul ne prend le sujet au sérieux au moment d'écrire ces lignes. Rappelons d'ailleurs que le budget de la défense a été sacrifié pendant vingt ans, jusqu'aux attentats de 2015, par manque de volonté politique ; les partis de gouvernement qui entendent retourner au pouvoir ou s'y maintenir y ont tous leur part de responsabilité, au même titre que pour l'impréparation de notre pays à la pandémie.
Nous l'avons dit, nous avons devant nous des menaces, mais aussi des opportunités. Là aussi, les précédents quinquennats n'ont pas préparé l'avenir, et cela risque de continuer. De même, les précédents gouvernements ont raté nombre de tournants technologiques et économiques ces dernières décennies, en plombant nos entreprises innovantes par un excès d'impôts et de bureaucratie, en faisant fuir de nombreux talents, en investissant mal ou pas assez et en paupérisant la recherche publique comme privée, ces ratés risquant fort de se répéter. Au même titre que la défense nationale, la recherche doit être une priorité absolue du prochain quinquennat : là aussi, le sujet est traité de manière annexe, ce qui veut dire que la situation ne changera pas dans les cinq ans.
D'une manière générale, les candidats à la présidentielle semblent traiter les différents sujets en réaction à l'actualité. D'abord parce que les grands candidats accordent de moins en moins d'importance à leur programme, en ne dévoilant de premières idées qu'après des mois à ne parler que de leur personne ou de politique politicienne – au point qu'il est désormais courant d'entendre que « le temps des propositions viendra ultérieurement ». Les premières vraies ébauches de programme surviennent à ce titre de plus en plus tard. Surtout, parce que les propositions pour la France sont de plus en plus définies en réaction aux événements. En réaction à des faits divers sur l'insécurité, en réaction à des poussées inflationnistes, en réaction à des plans sociaux ou à des grèves, et à d'autres actualités « chaudes » lorsqu'il s'agit d'exister médiatiquement.
Ou pire, en réaction aux chocs que connaît notre pays. Nous avons cité l'exemple de la défense nationale, qui a été érigée en priorité en réaction aux attentats par les mêmes qui avaient jusqu'ici coupé dans les dépenses militaires, et qui aujourd'hui semblent délaisser à nouveau le sujet. Plus encore que les attentats qui ont frappé la France, la pandémie illustre cette manière de faire de la politique dans la réaction plutôt que dans l'anticipation : au-delà de la santé et des hôpitaux, devenus priorités absolues y compris pour ceux qui traitaient jusqu'ici ces sujets de manière secondaire, les candidats se présentent tous en hérauts de la réindustrialisation, après avoir été au mieux timides sur le sujet depuis des années. Et cela va continuer : la prochaine élection présidentielle a de fortes chances d'être dominée par des enjeux qui auront pris la France de court et que les candidats n'abordent pas aujourd'hui.
La France n'est plus gouvernée, elle est administrée
Tout cela s'inscrit dans un problème plus large : la France n'est plus gouvernée, elle est administrée. Depuis quarante ans, notre pays est dirigé de manière gestionnaire : gestion de nos problèmes avec des réformes qui ne permettent pas vraiment d'y répondre par manque d'audace et par manque d'anticipation ; gestion des crises, pour les raisons décrites plus haut ; gestion de la pénurie, puisque l'absence de réforme de l'action publique empêche de dégager assez de moyens pour redresser le pays ; gestion des affaires courantes, intérieures comme extérieures, faute de projet à long terme qui guide l'action politique.
Or, gouverner, c'est prévoir. Nous l'avons dit, il faut avoir en perspective le monde en 2030, en 2050. Il y a certes des avancées en ce sens, telle l'initiative France 2030 qui n'est hélas qu'une action isolée, puisque notre cadre fiscal, réglementaire et administratif pour les entreprises, ainsi que le cadre de la recherche publique et privée, sont incompatibles avec l'objectif d'une France en position de force dans les secteurs d'avenir dans moins de dix ans. Est-ce que la France est aujourd'hui armée pour faire face aux défis futurs afin d’être plus forte en 2030 comme dans trente ans ? La réponse est non. Est-elle en capacité d'y parvenir vue la situation actuelle de son économie et de ses finances publiques ? La réponse est non, et cela n'est pas prêt de changer au regard des programmes aujourd'hui sur la table, des programmes qui ne prévoient pas des réformes à la hauteur pour sortir de cette situation.
Gouverner, c'est prévoir. Mais c'est aussi fixer un cap. Tenir la barre, affronter les tempêtes ne suffit pas : il faut avoir une destination, et ne pas en dévier. L'action du Président, du gouvernement et de la majorité doit être tournée vers des objectifs clairs sur le quinquennat et au-delà, et la quasi-totalité des décisions doivent s'inscrire dans une stratégie qui doit avoir été préparée avant les élections. Dit succinctement, il s'agit de dérouler un plan... ce qui suppose d'en avoir un. Autant d'éléments qui ont fait défaut aux derniers gouvernements, et qui font défaut aux principaux candidats à la présidentielle actuelle. Mais au regard des maux de notre pays, au regard des défis qui sont devant nous, l'action du prochain quinquennat doit être guidée par quelque chose de supérieur : un vrai projet d'avenir, capable de mobiliser la Nation et ses forces dans la durée, de rassembler les Français au-delà des clivages.
Où allons-nous ? La France sans projet d'avenir
Notre pays n'a pas de projet d'avenir. Il n'en a plus depuis des décennies. Le dernier remonte-t-il aux grands projets technologiques et industriels qui se matérialisaient encore du temps de Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing (symbolisés par le nucléaire, le TGV, le Concorde, etc.) ? Ou au début du mandat de François Mitterrand, avec de grandes réformes économiques et sociétales, quel que soit le regard porté sur elles ? Ou faut-il, bien sûr, chercher du côté de la présidence de Charles de Gaulle, dont la politique de grandeur suscite souvent la nostalgie aujourd’hui, bien loin des oppositions en son temps ?
Quoi qu'il en soit, notre pays et notre peuple se sont plusieurs fois relevés d'épreuves terribles lorsque ses dirigeants portaient un projet puissant.
En 1945, alors que la reconstruction suivait la Libération, nous avons embrassé un nouveau modèle social créant en France un État-providence et une véritable sécurité sociale, un nouveau modèle de société allant du droit de vote des femmes à la marginalisation d'opinions qui avaient jusqu'ici pignon sur rue, comme l'antisémitisme ou le racisme colonial. Notre pays avait un projet issu du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) intitulé « les jours heureux » ; malgré les divisions nées de la décolonisation et de la Guerre froide, la France a également poursuivi durant les décennies suivantes un projet de puissance fondé sur l'indépendance nationale, et le projet de la construction européenne qui aura a minima permis à la France de se réconcilier avec son ancien ennemi allemand et de construire enfin la paix. Nous avions une volonté de puissance dont nous nous donnions les moyens : malgré toutes les transformations qu'elle a connues dans les décennies suivantes, la France a globalement poursuivi dans cette voie jusque dans les années 1980. Notre pays, notre société vivent encore en grande partie avec l'héritage de 1945, qui doit être rénové, voire repensé par aspects.
A la fin du XIXe siècle, alors que la France se relevait de sa défaite traumatisante face à la jeune Allemagne durant la Guerre de 1870, la IIIe République naissante a su forger les grandes lignes d'un projet pour notre pays. Malgré des débuts chaotiques, elle a su ancrer définitivement le pouvoir et l'idéal républicains auxquels les Français étaient loin d'être totalement acquis. Malgré de violentes divisions qu'a illustré entre autres l'affaire Dreyfus, la IIIe République a engagé un effort inédit d'unification du pays dont les principaux piliers ont été l'instruction publique gratuite, laïque et le service militaire obligatoires. Parfois de manière brutale, les instituteurs ont diffusé partout l'apprentissage du français qu'une grande partie de la population ne maîtrisait pas ou parlait peu. Le fameux « roman national » inculqué à l'école a, malgré son caractère revanchard, énormément contribué à donner des repères communs à tous les Français. Pour se redresser puis peser à nouveau dans les affaires du monde, la France avait un projet de puissance : la colonisation, que l'on peut critiquer aujourd’hui à juste titre (elle ne faisait d'ailleurs pas l'unanimité), en était un des piliers, mais pas le seul. Si la France n'était pas aussi obsédée par la soif de revanche qu'on le pense aujourd'hui, elle gardait à l'esprit la perte de l'Alsace-Lorraine, dont la reconquête était un objectif fédérateur. Surtout, la France avait su poursuivre l'immense effort de modernisation et d'industrialisation conduit par Napoléon III : au plus fort de la Belle Époque, notre pays, que l'on disait déjà en déclin, était redevenu une grande puissance scientifique et industrielle, un foyer culturel et artistique dont Paris était la vitrine.
Il n'est pas question ici de regretter un âge d'or magnifié, fantasmé, ou de prétendre y revenir. La France de 2050 ne sera pas un retour à la France de 1950. Mais nous ne savons précisément pas ce que sera la France à cette date, parce que nous n'avons pas de projets nationaux qui tendent vers un tel horizon. De même que nous avons cessé de préparer l'avenir proche avec des gouvernements qui ont abandonné la culture stratégique et la culture de l'anticipation, nous avons, comme d'autres démocraties, cessé de penser et d'agir à long terme. Ballottés de crises en surprises, nous avons perdu nos perspectives d'avenir en même temps que la maîtrise de notre destin. Parce que nous n'avons pas de cap, nous naviguons à vue, au gré des circonstances, sur l’écume médiatique, sans connaître notre prochaine destination, au gré des vents et des courants de l’Histoire. L'enjeu n'est pas simplement de voir loin : il est de déterminer dans quel pays nous voulons vivre demain, quel modèle de société nous voulons bâtir et léguer aux futures générations. Il s’agit de retrouver un projet de civilisation : dans le cas de la France, un grand projet collectif qui repose sur un héritage commun (notre Histoire, notre culture, nos valeurs, notre identité partagée) et un avenir commun (des projets nationaux capables de rassembler tous les Français, de se poursuivre au travers des alternances politiques, de nous servir de repère dans un futur incertain). Des racines, et des ailes en somme.
D'autres le font à notre place, pour bâtir un futur où la France et les Français pourraient avoir beaucoup à perdre. Ainsi, si nul ne sait ce que deviendra le monde dans dix, vingt ou trente ans, des dirigeants visionnaires tournent leur regard vers de telles échéances qui guident leurs actions. De la Silicon Valley aux mégapoles chinoises, du numérique au spatial en passant par la robotique ou l'intelligence artificielle, les maîtres de la révolution technologique et industrielle à l’œuvre entendent transformer la société, l'économie et plus encore dans un futur proche. Certains d'entre eux portent les éléments d'un projet de civilisation, à l'instar des transhumanistes qui entendent faire advenir dans les toutes prochaines décennies une ère de bouleversements anthropologiques qui changeront jusqu'à la nature de notre humanité. Qu'il s'agisse de coloniser le cyberespace ou l'espace tout court, tous raisonnent sur le temps long.
De la Crimée à Taïwan, de l'Océan indien à la Méditerranée orientale, les autocrates russes, chinois ou turcs contestent l'ordre international et ses règles, attaquent les valeurs des démocraties occidentales jusque chez elles, et se montrent toujours plus disposés à employer la force pour imposer leurs ambitions impériales. Eux aussi portent chacun à leur manière un projet de civilisation, et eux aussi raisonnent sur le temps long, y compris lorsqu'ils sont pressés par les événements ou par des difficultés internes. La Russie entend retrouver sa puissance perdue, bâtir une « voie russe » distincte, et restaurer une forme d'impérialisme dans l’espace post-soviétique, au besoin par des agressions ou des annexions ; la Turquie se détourne de l’ancien modèle occidental pour embrasser un projet « néo-ottoman », et cherche elle aussi à retrouver son influence dans son ancien Empire, en recourant de plus en plus à la force. Chacun à leur niveau, chacun à leur manière, ces deux pays diffusent à l’étranger l’image d’une alternative aux valeurs des démocraties occidentales, jusqu’en France où l’entrisme du régime turc encourage le communautarisme, l’islamisme et le rejet de l’assimilation parmi des immigrés issus de divers pays musulmans. Exemple le plus éloquent, la Chine a fixé la date de 2049, qui correspond au centenaire du régime actuel, pour devenir la première puissance mondiale. De l'économie aux nouvelles technologies, de la puissance militaire au soft power, ses dirigeants élaborent et conduisent des projets de long terme qui ont largement contribué à l'ascension de la Chine et guideront son destin de superpuissance.
Notre propre futur est en grande partie en train de s’écrire sans nous. Ce que nous apercevons déjà dans le domaine numérique avec la colonisation de l’Europe par les géants chinois et américains qui va se multiplier dans tous les domaines. Mais d’ores et déjà, l’absence de projet de civilisation explique une partie de nos problèmes les plus criants. Pour prendre un exemple parlant : si tant de jeunes issus de l’immigration en viennent à rejeter la société française et à lui préférer l’islamisme, c’est en grande partie parce que la France, son héritage, son avenir ne sont pas vus comme une meilleure alternative. La nature a horreur du vide : faute de projet de civilisation incarné par la République française, d’autres projets de civilisation sont à l’offensive sur notre sol.
Cette absence de grands projets capables d’embarquer les Français vers la perspective d’un meilleur lendemain, de redonner à notre pays une forme de grandeur, est à la fois conséquence et cause, avec bien d’autres facteurs, d’une crise permanente de notre société et d’un malheur français dans lequel nous vivons depuis maintenant plusieurs décennies.
Crise permanente et malheur français
Les urgences qui minent notre pays et préoccupent les Français sont nombreuses et bien connues. Est-il utile de consacrer ici des dizaines de pages à tout ce qui va mal en France, même si c'est une forme de tradition nationale ? Tant de livres ont déjà été dédiés aux maux de notre pays, et les personnalités politiques, lorsqu'elles parlent du fond, passent souvent plus de temps à dénoncer nos problèmes qu'à leur apporter des solutions. Le terme d'urgences n'est pas trop fort au regard de la situation de notre économie et de nos finances publiques, de celle de millions de familles en difficulté financière, de celle de nos services publics, de celle de notre société (notamment au plan identitaire), et de l'impératif écologique.
Mais nous vivons depuis si longtemps avec ces urgences qu'elles sont devenues la norme. Nous vivons depuis près de quarante ans dans un déclassement global, dans un constat d'échec ou a minima d'insuffisance des politiques publiques. Nous vivons depuis une quinzaine d'années dans une crise permanente, qui est à la fois cause et conséquence d'un malheur français qui est lui aussi au centre du débat public depuis plusieurs décennies. Un malheur français qui a des racines anciennes, mais est devenu la matrice du débat public et de la vie publique, entre déclinisme, auto-dénigrement et malaise collectif.
Certes, l'obsession française du déclin n'est pas neuve : cela fait des siècles que les élites françaises, puis le peuple français dans son ensemble, pensent majoritairement que « c'était mieux avant », et que notre pays est sur une mauvaise pente. Notre déclin est bien réel en de nombreux domaines, comme nous le montrerons chiffres et exemples précis à l'appui. Nous avons cependant tendance à nous lamenter et à nous auto-dénigrer, y compris lorsque nous faisons mieux que d'autres pays : nombre d'études montrent que nous sommes parmi les peuples les plus pessimistes au monde, plus encore que dans nombre de pays meurtris par la guerre et la misère, alors que nous restons privilégiés. Pourtant, nous décrochons bel et bien par rapport à d'autres nations, ne serait-ce qu’au regard de nos voisins européens en ce qui concerne les politiques publiques, l'emploi ou le revenu par habitant. Et certes, le constat d'une France au bord de l'effondrement est souvent en décalage avec ce que perçoivent les Français : s'ils partagent la plupart des constats qui précèdent et qui suivent sur les maux de la France, les Français vivent leur vie et en sont majoritairement satisfaits individuellement. Pourtant, les Français vivent aussi dans un malaise collectif, estiment que le pays va mal et pensent qu'il ira plus mal encore demain.
On l'a dit, ce malheur français trouve sa source dans la crise permanente dans laquelle s'est installé notre pays, une crise dont nous ne voyons pas le bout.
Placée une nouvelle fois sous le signe de la pandémie et des contraintes sanitaires, l'année 2022 voit encore s'accumuler des difficultés qui devraient, hélas, se poursuivre au cours des années à venir. Au moment d'écrire ces lignes, l'inflation et l'envolée des dépenses contraintes – à commencer par les prix de l'énergie – promettent de pénaliser la plupart des Français, qu'ils soient actifs ou retraités ; nos hôpitaux continuent d'encaisser les chocs, habitués à un état d'urgence qui s'éternisait déjà avant la pandémie de Covid-19 ; nos écoles sont perturbées par les contraintes sanitaires, affectant les élèves, leurs parents et les enseignants ; les étudiants passent une nouvelle année perturbée et doutent toujours plus de leur avenir professionnel, la pandémie ayant aussi montré la détresse financière de nombre d'entre eux ; d'enquêtes d'opinions en conversations n'importe où, la fatigue semble caractériser en premier lieu l'état d'esprit des Français, même s'ils se disent en majorité heureux pour eux-mêmes à défaut de l'être pour leur pays. Campagne électorale oblige, des polémiques souvent inutiles, toujours stériles remplacent les sujets de fond et polluent l'espace médiatique. Voilà pour l'actualité des derniers mois, et sans doute des prochaines années.
Mais nous voyons surtout s'aggraver les problèmes qui n'ont été résolus ni sous l'actuel quinquennat, ni sous les précédents. Ce qui suit aurait pu être écrit il y a cinq, dix ans ou plus encore, et risque fort de rester d'actualité dans cinq ans.
Économie, services publics, société... des urgences aussi multiples qu'irrésolues
Car à quelques exceptions près, cela fait depuis plusieurs mandats présidentiels que nos problèmes restent largement les mêmes et empirent pour l'essentiel.
Les urgences françaises sont d'abord économiques. Malgré la vigueur de la reprise après une récession historique en 2020, notre économie accumule les difficultés : le chômage reste bien plus élevé que dans la plupart des pays riches et descendra difficilement sous les 7% pour des raisons structurelles que nous expliquons ailleurs ; la compétitivité de nos entreprises reste encore largement pénalisée malgré les efforts entrepris ces dernières années ; le pouvoir d'achat d'une large majorité de Français stagne ou régresse, non parce que les richesses sont mal redistribuées, mais parce que nous n'en créons pas assez ; c'est l'ensemble du pays qui s'appauvrit par rapport à des pays comparables, comme le montre la diminution de notre PIB par habitant en comparaison de l'Allemagne ; le taux d'emploi, soit la proportion d'actifs par rapport aux inactifs, reste plus bas que chez nos voisins ; des millions de Français sont insuffisamment formés pour répondre aux besoins de l'économie, et les pertes de compétences dans de nombreux domaines vont nous poser de sérieux problèmes à l'avenir.
Notre balance commerciale (qui mesure la différence entre nos importations et nos exportations) est la plus déficitaire d'Europe, et ce déficit commercial continue de se creuser du fait de la faiblesse de nos exportations ; la désindustrialisation, qui a enfin marqué le pas à la fin de la dernière décennie, a durablement affaibli notre économie et sinistré des territoires entiers ; la croissance a beau être particulièrement forte à court terme du fait de la reprise en cours, notre croissance potentielle (c'est-à-dire la croissance maximale liée aux fondamentaux de notre économie) reste maigre et la croissance réelle retrouvera un niveau faible dans les prochaines années, ce qui signifie que nous en reviendrons au mieux à la situation qui prévalait avant la pandémie.
Les urgences françaises sont aussi financières. Nos finances publiques sont dans un état catastrophique, ce qui assombrit nos perspectives d'avenir, affaiblit déjà notre souveraineté et nous met à la merci de futurs chocs financiers. Notre niveau d'endettement public atteint des niveaux stratosphériques, en représentant l'équivalent de 115% du produit intérieur brut, donc de la richesse nationale produite en une année. Cette situation peut être nuancée. Un tel niveau aurait été jugé insoutenable il y a quelques années encore, mais les principales économies mondiales ont elles aussi vu leur dette exploser depuis 2020 pour soutenir l'économie face à la pandémie. La crise économique a fait évoluer notre rapport au déficit et à la dette, comme dans d'autres pays bien plus attachés que nous à la discipline budgétaire et à l'orthodoxie monétaire. Depuis quelques années, la France emprunte dans des conditions extraordinairement favorables avec des taux à leur plus bas historique, notamment grâce à l'action de la Banque centrale européenne sans laquelle l’État n'aurait jamais pu soutenir l'économie durant la pandémie. Le fait que notre dette publique excède les 100% du PIB ne la rend pas insoutenable : certains États subissent des crises de la dette avec un endettement bien inférieur au nôtre, quand d'autres affichent une dette publique bien supérieure sans risquer une crise de leurs finances publiques. Ce qui est en jeu est la capacité d'une économie à pouvoir soutenir un tel niveau d'endettement, impliquant notamment la détention par des agents nationaux de la majorité de cette dette ainsi qu’un taux de croissance économique supérieur aux taux d'intérêt de cette même dette. Plus largement, l'endettement n'est pas en soi un problème : lorsqu'il s'agit de protéger et sauver l'économie, comme en 2020, de soutenir l'activité et la croissance, et surtout d'investir dans l'avenir, on peut même parler de « bonne dette ». Pour se financer, la France pourra toujours s'endetter massivement tant que ses conditions d'emprunt restent favorables.
Mais la situation pourrait bientôt devenir beaucoup plus difficile. L'environnement favorable qui permet à l’État de s'endetter à bas coût ne durera pas : les taux d'intérêt ne pourront que remonter dans un futur proche, parce que la Banque centrale européenne devra restreindre ses politiques monétaires. Or, une remontée des taux alourdirait la charge de la dette, creusant nos déficits, rendrait le financement de nouvelles dettes bien plus cher, et nous obligerait à mener rapidement une politique d'austérité qui plomberait l'activité économique et nous empêcherait de financer les priorités pour redresser notre pays. Une nouvelle crise financière, qui nous mettrait dans la même situation, ne peut non plus être exclue. Surtout, notre situation financière n'est tout simplement pas tenable dans la durée. Nous ne nous endettons pas pour investir dans l'avenir ou renforcer notre croissance – la « bonne dette », mais pour financer notre modèle social et le fonctionnement de l’État. La France n'a pas voté de budget à l'équilibre depuis 1974 ! Nous vivons à crédit et à la merci de nos créanciers. Pour l'heure, cette situation irresponsable réduit considérablement notre poids en Europe ; demain, elle pourrait précipiter notre déclassement sur la scène internationale en même temps qu'elle nous conduirait à une longue période de stagnation. Sur le plan des finances publiques, la France est en sursis, mais pas pour longtemps.
Les urgences françaises concernent ensuite principalement nos services publics et notre modèle social qui constituent de moins en moins un modèle. Nos services publics sur le terrain souffrent et sont généralement de moins en moins efficaces, voire trop peu présents : notre système éducatif ne remplit plus sa mission d'instruction publique, d'ascenseur social et de vecteur de la cohésion nationale ; nos hôpitaux sont dans l'état que l'on sait, la difficulté à trouver des rendez-vous chez des généralistes et spécialistes ne concerne pas que les déserts médicaux ; la Justice est devenue le maillon faible de nos politiques de sécurité alors que la situation sécuritaire se dégrade à nouveau, des centaines d'agressions, crimes et délits sont commis chaque jour tandis que prospèrent les zones de non-droit, nos armées se remettant encore des coupes budgétaires opérées par les gouvernements de droite comme de gauche.
Nos services publics comptaient, il y a peu encore, parmi les meilleurs du monde dans de nombreux domaines s'agissant de leur efficacité et de leurs résultats. S'il ne faut pas idéaliser le passé, le déclin est réel. Notre système de santé était considéré par divers classements étrangers comme le meilleur de la planète au début des années 2000 : il n'est aujourd'hui même plus dans le « top 10 » européen, une dégradation que les Français peuvent constater au quotidien. Notre système éducatif a lui aussi largement baissé dans les classements internationaux, chutant parmi les derniers rangs européens, et son déclin s'observe aussi bien dans la panne de l'ascenseur social que dans la baisse avérée du niveau global des élèves et des programmes. Notre Justice est l'une des plus mal financées d'Europe, les procédures judiciaires y sont parmi les plus longues, et le taux de criminalité reste supérieur à celui de nos voisins européens. Quant à notre modèle social, qui compte parmi les plus redistributifs, les plus généreux et les plus chers au monde, ses résultats en matière de pauvreté et de mobilité sociale sont tragiquement décevants pour des millions de nos compatriotes qui restent sous le seuil de pauvreté ou qui ne parviennent pas à sortir des déterminismes sociaux.
Du fait de leurs insuffisances, nos services publics semblent à première vue manquer de moyens. Pourtant, notre pays affiche le niveau de prélèvements obligatoires – taxes, impôts, cotisations – le plus élevé du monde développé, voire de l'ensemble de la planète ; il en va de même pour le niveau des dépenses publiques, où la France est au premier rang mondial. Des dépenses que notre fiscalité record ne suffit même plus à couvrir, puisque notre pays est en déficit permanent depuis un demi-siècle. Les Français sont donc de plus en plus nombreux à se demander ce qui était déjà l'une des principales doléances des « Gilets jaunes » : puisque nous payons tant de prélèvements pour des services publics et un modèle social insatisfaisants, alors “où va le pognon ?”.
Les urgences françaises sont, enfin, liées à la cohésion nationale et aux enjeux identitaires. Il n'est guère besoin d'insister sur les multiples fractures qui traversent notre société. Tant de constats et de mises en garde ont été faits sur la réalité des communautarismes, sur les dangers de l'islamisme, sur la transformation de banlieues entières en zones de non-droit où ont disparu la culture et le mode de vie français, et où n'habitent parfois plus que des populations originaires du sud et de l'est de la Méditerranée. Tant de choses ont été dites à ce sujet, si peu a été fait. Faute de politique d'assimilation, ce sont aujourd'hui des millions d'étrangers et de Français d'origine étrangère qui ne sentent pas appartenir à la France, une partie d'entre eux la rejetant ou voulant la conquérir. Oui, la principale menace envers la cohésion et l'unité nationales vient de l'absence d'assimilation d'une partie de la population immigrée d'origine non-européenne, des pressions communautaristes et de la diffusion d'un islamisme généralement sournois, souvent militant, et parfois combattant. Oui, il y a bien une menace grave envers nos valeurs (parmi lesquelles la laïcité, la tolérance, l'émancipation des femmes et des minorités sexuelles), notre mode de vie, et notre identité commune.
Les Français sont désormais une majorité à constater, à craindre et à vouloir combattre cette évolution. Une évolution sociétale qui accompagne une évolution démographique, la part des immigrés et descendants d'origine extra-européenne dans la population française étant en croissance forte et continue, tout comme la place de l'islam dans la société française. Le problème n'est ni ethnique, ni religieux, la diversité ayant toujours renforcé notre pays et pouvant contribuer à son rayonnement dans un monde globalisé : il est lié à l'assimilation des immigrés et de leurs descendants à la Nation, le communautarisme et le multiculturalisme étant incompatibles avec notre cohésion et notre unité nationales.
Au-delà, c'est l'idée même de communauté nationale qui est menacée, et pas seulement par les phénomènes décrits à l'instant. Une partie non-négligeable de notre jeunesse, quelles que soient ses origines, ne se sent pas concernée par notre histoire et par notre héritage, et n'a plus vraiment de sentiment d'appartenance puisqu'un tel sentiment n'est presque plus transmis par l'école. Elle se détourne de pans entiers de notre culture, généralement parce qu'elle ne les connaît pas, là encore faute de transmission. Il ne s'agit pas de se lamenter, comme le font certains, de la disparition d'une France immuable qui devrait rejeter tous les apports récents de la modernité et de l'étranger : la France a toujours été un pays en mouvement, et les nouveautés de notre époque ne sont pas incompatibles avec la préservation et la transmission de la France éternelle. Il ne s'agit pas non plus d'alerter, comme le font les mêmes, sur la mort de la nation française : non seulement les Français sont attachés à leur pays, mais le patriotisme revient en force dans la plupart des catégories de la société, y compris au sein de la jeunesse. L'enjeu est plus complexe.
Nous sommes en train de basculer dans une société française atomisée, fragmentée, que d'aucuns décrivent même comme un « archipel français ». Une France dont les fractures sociales, territoriales, identitaires et religieuses pourraient avoir raison de l'unité. Une France où la Nation n'est plus un fil conducteur entre tous les citoyens, qu'ils soient issus ou non de l'immigration. Une France dont le legs culturel et historique est de moins en moins transmis au grand public, et de plus en plus attaqué par les déconstructeurs de toutes sortes. Une France parfois en voie de désenchantement, de périphéries dénaturées dans nos campagnes au centre-ville enlaidi de notre capitale, de notre art de vivre parfois bousculé à notre patrimoine souvent négligé. Une France qui, pour retrouver l’unité et la cohésion, doit se rassembler autour d’un héritage et d’un futur en commun, en renouant avec l'esprit de conquête.
Une vision à long terme : la France que nous voulons en 2045
Renouer avec l'esprit de conquête ne signifie pas s'abandonner à des rêves sans lendemain, mais se fixer de grands projets collectifs. Et la différence entre un rêve et un projet, c'est une date. Il nous faut un horizon, une date qui transcende les rendez-vous électoraux et serve d'échéancier commun pour fixer un cap et des objectifs à notre pays.
La Chine veut devenir la première puissance mondiale d'ici 2049 ? En tant que République française, nous pouvons nous fixer une autre date pour nos propres objectifs nationaux : 2045. Une date qui marquera le centenaire de cinq tournants historiques qui déterminent largement la condition de notre pays depuis 1945 :
- l'aube des Trente Glorieuses qui ont transformé notre modèle économique et le visage de notre pays, bien au-delà de la reconstruction d'après-guerre ;
- la naissance d'un nouveau modèle social issu du programme du Conseil national de la Résistance, du droit de vote des femmes à la Sécurité sociale ;
- l'avènement des décolonisations et d'une nouvelle immigration issue d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient, qui ont changé à la fois notre rapport au monde et notre société, que ce soit en bien ou en mal pour notre cohésion nationale ;
- une nouvelle ère pour l'Europe, où la France entend jouer un rôle moteur ;
- un nouvel ordre international, dans lequel la France cherche à rester une puissance qui compte en conservant des atouts solides.
Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient : ces cinq legs de l'histoire peuvent guider les orientations que doit suivre notre pays dans les décennies qui viennent.
Forts de ces constats, nous nous engageons à tout faire dès le prochain quinquennat pour que la France atteigne cinq objectifs cardinaux avant 2045 :
- rénover notre modèle économique pour faire de la France un leader mondial de la transition écologique, en étant le premier grand pays à relever avec succès trois défis, soit atteindre la neutralité carbone, stopper le déclin de la biodiversité et sortir de l'ère des produits non-recyclables ;
- adapter notre système social et nos services publics aux nouveaux défis (vieillissement, révolution technologique, mutations du travail, etc.), pour faire de la France la vitrine d'un modèle qui met la personne humaine au centre de l'économie et des politiques publiques ;
- assimiler pleinement les populations issues de l'immigration dans une communauté nationale ressoudée, et bâtir de nouvelles relations avec le monde francophone via des partenariats gagnant-gagnant et équilibrés ;
- retrouver ou conserver le premier rang européen dans les domaines scientifique, économique, militaire, diplomatique et culturel ;
- rester ou redevenir l'une des premières puissances mondiales dans les mêmes domaines, ce qui n'est pas une affaire de taille, mais de volonté et de stratégie.
Ces objectifs peuvent paraître utopiques, irréalistes, irréalisables. Ce n'est pas le cas : notre pays peut se donner de telles ambitions. Nous n'en avons pas encore totalement les moyens, mais nous les aurons si nous effectuons dès le prochain quinquennat les réformes qui nous permettront de redresser notre économie, d'assainir nos comptes, de relocaliser certaines productions et d'investir dans l'avenir.
Une action massive au cours des années qui viennent pour accélérer la transition écologique permettra de rattraper le temps perdu sur des chantiers tels que les transports ou les énergies propres, et ses avancées seront irréversibles.
Des réformes radicales visant à redresser nos finances publiques et notre compétitivité permettront à la fois de sauver notre modèle social et de garantir sa pérennité, en entraînant une augmentation durable de l’activité économique et des revenus, et en retrouvant des marges de manœuvre pour financer les investissements prioritaires.
Une politique d'immigration choisie, et d'assimilation des immigrés présents et à venir, assortie du rétablissement de l'ordre républicain partout en France, ne demande que du courage et de la cohérence.
Enfin, l'objectif de redevenir la première puissance d'Europe et l'une des principales puissances mondiales dans les domaines cités est à notre portée. Pourquoi ? Nous l'avons dit, ce n'est pas une affaire de taille, mais de volonté et de stratégie des moyens, à l’image d’Athènes tenant tête à l’immense Empire perse il y a 2500 ans, des cités-Etat italiennes rayonnant sur l’Europe de la Renaissance, des petites Provinces-Unies défiant les grandes puissances européennes au XVIIe siècle, et de tant d’autres exemples historiques.
Le monde contemporain le prouve. Israël a une superficie équivalente aux deux tiers de celle de la région française des Pays de la Loire et une population de 9 millions d’habitants : cet État compte pourtant parmi les dix ou quinze plus grandes puissances militaires et scientifiques du monde. Singapour est une cité-État de quelques millions d'habitants, qui était à son indépendance encore plus pauvre que ses voisins : grâce une politique volontariste guidée par le long terme, elle fait désormais partie des États les plus riches et les plus avancés du monde, rayonnant sur toute l'Asie du Sud-Est. La Corée du Sud, encore considérée comme plus pauvre que son homologue du Nord au début des années 1970, devance aujourd'hui la France en bien des domaines technologiques et industriels, du fait entre autres de dépenses de recherche deux fois plus élevées par rapport à la richesse nationale. A contrario, si la puissance était juste une affaire de population, de taille ou de ressources, des géants géographiques et démographiques comme l'Indonésie, le Brésil, la Russie ou l’Inde domineraient le concert des nations et distanceraient la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
Nos meilleurs jours sont encore devant nous !
Aurélien Duchêne