Narendra Modi, un réformateur à la tête de l'Inde ? (13/02/17)
Comment le dirigeant indien modernise rapidement son pays, dans le but d'en faire une puissance avec laquelle compter.
« A son of a poor man is standing in front of you today. This is the strength of a democracy. »
Narendra Modi
Chef d’État le mieux élu de l’Histoire après sa victoire en 2014 à la tête du Bharatiya Janata Party (un parti nationaliste libéral promoteur de l’Hindutva, devenu le plus grand mouvement politique au monde avec plus de 110 millions d’adhérents en 2015), Narendra Modi est à ranger parmi les dirigeants les plus volontaristes des années 2010. Personnage controversé pour sa responsabilités dans les émeutes islamophobes qui auraient fait jusqu’à 2000 morts dans l’État du Gujarat dont il était le dirigeant et pour ses ambitions géopolitiques qui inquiètent certaines nations asiatiques, cet homme né dans une famille pauvre de l’Ouest indien est devenu l’un des Premiers ministres les plus populaires qu’ait connu le pays, et l’un des chefs d’État indiens les plus influents. En Occident, Narendra Modi est surtout connu pour avoir fait un périple l’Himalaya et créé un ministère du Yoga, alors que son action impressionnante mérite l’attention.
Sa décision, il y a quelques mois de lancer une vaste campagne de démonétisation a généré un véritable chaos et il est trop tôt pour constater à quel point l’impact de cette mesure aura été positif ou négatif. En toute honnêteté, je ne me sens pas en mesure d’émettre ici un jugement car je n’y comprends pratiquement rien et je ne vais pas m’aventurer en terre inconnue. L’objectif de cet article est de synthétiser les principales réformes qui ont permis le redécollage d’un pays qui représente presque un cinquième de l’humanité, mais sur lequel notre regard n’a pas l’air d’avoir tellement changé depuis 20 ans.
Alors que l’actualité économique et sociale des pays occidentaux ne donne pas spécialement envie de sourire, l’Inde repart presque de zéro et se transforme à toute vitesse. Alors que les dirigeants européens passent pour être des gestionnaires incapables de proposer à leur pays un projet de société, les réformes mises en place par Narendra Modi sont d’une envergure comparable à celles lancées par le Vieux Continent au cours des Trente Glorieuses. Surtout, l’action du 14e Premier ministre indien répond à des ambitions qui n’ont rien à voir avec les objectifs des dirigeants occidentaux : faire de l’Inde l’une des plus grandes puissances du 21e siècle, à la hauteur de sa population et de son histoire, sortir plusieurs centaines de millions de citoyens de la précarité, faire face aux défis posés par la surpopulation, le manque de ressources et aux risques d’affrontements entre les centaines de minorités ethniques et religieuses que compte l’Inde contemporaine.
Modi a d’abord procédé à la réorganisation d’un État moderne, effort considérable compte tenu de la population du pays et de la vitesse à laquelle évoluent les besoins. Réformer en priorité l’État et les moyens d’action du gouvernement, une stratégie analogue à celles mises en place par la Russie, le Japon ou l’Italie à la fin du XIXe siècle pour rattraper leurs concurrents industrialisés.
La Commission de planification, organisme d’un autre temps censé coordonner des plans quinquennaux et autour duquel gravitaient la plupart des administrations indiennes, a été supprimée du jour au lendemain pour être remplacée par une Commission nationale pour le développement et la réforme, sorte de think tank géant qui produit désormais des analyses détaillées de la situation du pays et de son évolution dans les prochaines années. Le développement désorganisé de l’Inde, entre explosion des inégalités, catastrophes environnementales, risque de pénurie dans les régions surpeuplées, mauvaise qualité des infrastructures et déséquilibres entre territoires, sera désormais coordonné selon une logique « national-développementiste ».
Au cours de sa campagne, Modi avait annoncé un plan de développement humain avec des objectifs généraux de réduction des inégalités, d’insertion des femmes dans l’activité économique, d’accès aux services de base et à de meilleures formations, mais également des objectifs chiffrés comme doubler le revenu des agriculteurs en cinq ans ou la sortie 10 millions de ménages de la pauvreté en deux ans. Des objectifs ambitieux, mais pour le moment en passe d’être tenus.
Narendra Modi est en train de jeter les bases d’une sécurité sociale universelle dans un pays d’1,3 milliard d’habitants où le revenu moyen est 26 moins élevé qu’en France. Le système de protection sociale que le 14e Premier ministre indien s’emploie à constituer ne se base pas sur les valeurs morales des États-providence occidentaux (christianisme social ou socialisme selon les modèles), mais sur celles de l’Hindutva. Considéré comme un conservateur et un traditionaliste, Modi s’est pourtant attaqué au système des castes qui continue de gangrener l’Inde contemporaine, et a considérablement renforcé la répression des pratiques qui y sont liées.
Preuve que la démocratie fonctionne (mieux qu'on ne le dit) en Inde, les réformes de Modi ont buté face aux intérêts privés et aux corporatismes qui n’ont que peu évolué depuis l’indépendance du pays il y a 70 ans. Sur la réforme du droit foncier, la modernisation du secteur immobilier, l’instauration d’une GST pour harmoniser les TVA locales, ou la libéralisation du marché du travail et la lutte pour l’égalité des chances, Modi a été contraint de revoir pour le moment ses ambitions à la baisse.
Mais le successeur de Manmohan Singh est en train de faire de son pays un pôle d’innovation, de production et de croissance les plus dynamiques du monde ; en décloisonnant des secteurs entiers de l’économie et en permettant des hausses de salaire pour de très nombreuses familles, il cherche à jeter les bases du plus grand marché de la planète, l’Inde étant en bonne voie pour dépasser la Chine en termes de population d’ici une dizaine d’années. Surtout, sa stratégie du « Make in India », qui vise à faire de l’Inde un des premiers exportateurs mondiaux et à faire monter en gamme son système productif peut bouleverser le commerce international dans les 10 à 15 prochaines années. Déjà, l’industrie indienne se modernise à une vitesse sous-estimée, et concurrencera bientôt les Chaebol sud-coréennes. Pendant des années, l’Inde a formé des ingénieurs, informaticiens, biologistes et économistes qui ont rempli les universités américaines et les centres de recherche des entreprises occidentales, et Modi aspire à faire de son pays l’un des leaders de l’économie de la connaissance en permettant la constitution d’une classe créative capable de rivaliser avec les élites occidentales ou chinoises.
Parallèlement à son plan d’investissement dans les infrastructures – autour de 60 milliards de dollars –, l’Inde mise sur les énergies renouvelables : un effort gigantesque est entrepris pour accompagner la hausse de la demande en électricité, et le sous-continent éclipsera bientôt l’Europe, qui refuse toute transition énergétique ambitieuse, sur le marché des énergies vertes.
Réputé pour être particulièrement économe, Modi a lancé un vaste programme d’assainissement des finances publiques et de coupes budgétaires : un pays en développement, dont l’État est encore en construction, réalise des réformes que des pays à l’abri du besoin comme la France n’envisagent même pas. Des privatisations ont été lancées dans tous les secteurs où la Commission nationale pour le développement et la réforme estimait que le privé était davantage en mesure d’assurer un service de qualité. Pour investir dans son avenir et financer une Défense opérationnelle qui lui permette de soutenir ses ambitions stratégiques, l’Inde s’active à retrouver son indépendance budgétaire ; alors que l’Inde était encore à la merci de créanciers occidentaux il y a peu, elle sera bientôt en position de force face à des économies occidentales qui continuent de s’endetter selon de vieilles règles. Renouant avec les politiques qui lui avaient permis de faire du Gujarat l’un des États les plus dynamiques du pays, Modi a réussi à attirer à nouveau les investisseurs qui voient en l’Inde une « nouvelle Chine » démocratique, moins agressive et davantage préoccupée par le développement humain.
Aujourd’hui, la croissance du pays, qui avait fortement ralenti depuis 2010, est supérieure à celle de son puissant voisin, malgré le choc de la démonétisation et le refus de la Rajya Sabha (chambre haute du Parlement indien, le Sansad), de faire passer certaines réformes cruciales. L’inflation recule, le chômage est au plus bas, et bien que les données précises manquent, on constate une hausse généralisée du niveau de vie qui n’est pas que le fait des métropoles. Décrire en détail les nouvelles réalités économiques, sociales et culturelles du pays de Gandhi exigerait que l’on y consacre un certain temps : la dynamique de l’Inde, qui pourrait profiter à la France, sera d’ailleurs l’objet d’un article à part entière sur ce site, de même concernant les ambitions internationales de Narendra Modi et leurs potentielles conséquences stratégiques.