La « pensée » Xi Jinping (27/10/2017)
On a beaucoup parlé ces derniers jours de l'inscription de la « pensée » du président Xi Jinping dans la charte du Parti communiste chinois, ce qui fait de ce dernier l’égal théorique de Mao. Qu’y a-t-il dans la tête de l’homme le plus puissant du monde ?
On a beaucoup parlé ces derniers jours de l'inscription de la « pensée » du président Xi Jinping dans la charte du Parti communiste chinois, ce qui fait de ce dernier l’égal théorique de Mao. Qu’y a-t-il dans la tête de l’homme le plus puissant du monde ?
Primus inter pares
Xi Jinping (prononcer Shi Jinping), au pouvoir depuis fin 2012, est sans conteste le dirigeant chinois le plus puissant depuis Deng Xiaoping, si ce n'est depuis Mao. Le XIXe Congrès du Parti communiste chinois a renouvelé pour cinq ans son mandat à la tête du pays sans qu’un successeur soit désigné, accréditant l’idée que Xi souhaite rester au pouvoir pour une durée exceptionnelle. L’« Empereur rouge » a réussi à rompre l’équilibre entre factions pour imposer ses alliés à la tête des principales institutions de l’État-Parti, mais l’événement le plus marquant de ce Congrès historique a été l’inscription de la pensée de Xi dans la charte du PCC.
La « théorie Deng Xiaoping » avait été érigée au rang de « guide de l'action » dans la charte du Parti communiste l'année de la mort de Deng ; Jiang Zemin et Hu Jintao, les deux derniers prédécesseurs de Xi Jinping, ont pu y inscrire des amendements idéologiques, sans que leur nom soit cité.
Xi Jinping obtient lui que sa pensée soit mise en avant comme guide de l'action du Parti, en son nom et en son vivant, ce qui n'était jamais arrivé depuis Mao. Au-delà de l'aspect idéologique, cela veut dire que Xi Jinping a la légitimité d'un père fondateur, et que sa propre action se confond avec l'intérêt de la nation chinoise.
Il appartient d’abord de différencier « pensée » et « théorie », non dans le jargon du Parti communiste, mais en mandarin. Ce qu’on traduit par « pensée » (sixiang) est supérieur à ce qu’on entend par « théorie » (lilun), dans le sens où le sixiang représente une construction intellectuelle systémique, une vision du monde.
Si l’on se fie à la charte du Parti, qui est à la fois un texte à valeur constitutionnelle et une feuille de route, Mao a toujours été le seul « leader de la pensée »… jusquà Xi, ce qui marque une révolution.
Le Parti communiste a toujours raison : si les idées de Xi font partie de l'idéologie du parti, alors Xi a plus raison que n'importe qui. Siempre ragione, comme l'on disait à propos du Duce Mussolini...
Le risque de voir Xi rester maître absolu du pays tant que sa santé le lui permettra est donc réel.
Xi Jinping n’aurait jamais conquis un pouvoir aussi immense si ça n’était pas dans l’intérêt du Parti et de la nobilitas chinoise. Il a habilement fait comprendre au reste de l’oligarchie communiste que la substitution d’une dictature personnelle au principe de collégialité était l’une des meilleures garanties de survie du régime.
Il a également réussi à imposer une véritable doctrine politique, capable de souder les multiples factions du Parti autour d’objectifs ambitieux.
Quelle est la pensée de Xi Jinping ?
On pourrait dire à première vue qu’il s’agit d’opérer une synthèse entre le socialisme de marché de Deng, l’intransigeance de Mao, et un retour en grâce des vieux préceptes chinois. Xi a une vision du monde, qui ne se limite pas à de simples formules rhétoriques.
Les caciques du Parti communiste voient la société chinoise selon un paradigme qui emprunte encore beaucoup aux conceptions traditionnelles, en particulier à la philosophie confucéenne.
Mais aux enseignements de Confucius, Xi Jinping préfère ceux de Han Fei Zi, un des grands noms de la pensée politique chinoise qui a vécu au IIIe siècle av. J-C, et que certains spécialistes considèrent comme le Thomas Hobbes de l'Empire du Milieu.
Cette figure de proue du légisme (concept politique que l'on pourrait grossièrement comparer à l'absolutisme français) a largement inspiré Qin Shi Huangdi dans son entreprise d'unification des royaumes chinois et d'établissement d'un empire centralisé et autoritaire. Han Fei, brutalement réaliste, faisait l’éloge de la coercition, de la crainte et de la force pour que l’État puisse assurer l’ordre social, là où Confucius faisait primer l’harmonie et l’ordre social « naturel ».
Ces préceptes antiques se mêlent à une interprétation autoritaire et inclusive (inclusive au sens de favorable à l'embrigadement des masses) du marxisme-léninisme.
Il ne faudrait surtout pas croire que Xi se sert du Parti uniquement comme d'un moyen. Il sanctuarise le rôle du PCC dans une logique réellement totalitaire.
Les cadres communistes devront à tous les niveaux assurer la « sécurité politique », c'est-à-dire le contrôle du Parti sur la vie du pays. Xi veut une stabilité politique absolue pour permettre la réalisation de grands projets nationaux sur plusieurs générations ; il entend aussi redonner sens à la définition totalisante du socialisme.
Ça n’est pas l’objet de cet article, mais il convient de souligner que la politique de répartition des fruits de la croissance et de lutte contre la pauvreté menée par Xi se distingue par son volontarisme.
Beaucoup de Chinois regrettent en effet certains aspects de l’époque Mao : la valorisation des ouvriers présentés comme les héros de la famille, les médecins aux consultations gratuites, de bons professeurs dans les campagnes.
Avec Xi, la modernisation économique et le pragmatisme n’excluent pas un retour à certaines pratiques « orthodoxes » du communisme. Le « socialisme avec des caractéristiques chinoises » était depuis 1982 un euphémisme pour désigner un capitalisme d’État sans État de droit.
La politique sociale de Xi, qui vise à éradiquer la pauvreté dans le pays d’ici 2020 pour créer une « société de petite prospérité », est une autre raison de sa popularité. Pendant ce temps, le Parti renforce son contrôle sur le monde des affaires, en dépit des discours pro-business et de la promesse d’une égalité de traitement entre les entreprises locales et étrangères.
Légisme antique, socialisme revisité, nationalisme populaire, pragmatisme de fer, ouverture économique et libéralisation timide de l’économie… la vision politique de Xi Jinping semble se structurer autour de ces grands axes.
Make China Imperial Again
La pensée Xi Jinping, c’est en fin de compte l’idée d’une continuité entre la Chine millénaire et l’esprit du « socialisme à la chinoise ». Il s’agit d’engager la « grande renaissance de la nation », et cela ne se limite pas à laver l’humiliation des traités inégaux et de la semi-colonisation par l’Occident puis le Japon.
Avec Xi, la Chine semble s'être davantage faite entendre sur la scène internationale en cinq ans qu'en 20 ans. L'époque où le géant endormi devait faire profil bas, selon les recommandations de Deng, est définitivement révolue.
Xi martèle de plus en plus le devoir qu'a la Chine de participer à la « destinée commune » du monde ou à réclamer la mise en place d'une armée « de classe mondiale », en rupture avec la diplomatie à pas feutrés de ses prédecesseurs qui préféraient avancer masqués. Ce qui ne l'empêche pas de défendre bec et ongles l'intégrité territoriale de la Chine dans sa version irrédentiste, c'est-à-dire incluant Taïwan, laquelle devra être soumise un jour.
Il s'agit aussi d'accomplir une forme de Sonderweg chinois. L’Empire du Milieu tirait son nom de l’idée que la civilisation chinoise, gouvernée par un mandat du Ciel, était au centre de tout. La Chine a été durant des siècles la plus grande puissance mondiale, en avance sur l’Occident ; mais au sein d’un univers peu interconnecté, où les rapports de force ne dépassaient pas le cadre régional.
La Chine de Xi Jinping a un projet hégémonique, mais qui se limite à l’Asie-Pacifique, ou tout du moins l’Asie du Sud-Est. Là où les États-Unis ont versé dans l’hybris et la démesure entre la fin du second mandat de Ronald Reagan et la crise de 2008, Xi (et les successeurs qui pourraient suivre sa doctrine) a des ambitions plus ciblées.
Peut-être d'être le leader d’un groupe de pays opposé au monde libre : concrètement, les États africains ou asiatiques où les valeurs occidentales sont majoritairement rejetées. Plus qu'une volonté de jouer le rôle d'une nouvelle URSS dans le cadre d'une guerre froide réchauffée, comme on peut parfois l'entendre, le but de la Chine de Xi semble être de bâtir une contre-mondialisation triomphante.
Selon le modèle historique du tianxa (empire-monde), la Chine telle que veut la faire émerger Xi sera une grande puissance paternaliste, liante, vassalisant des pays qui recevraient d’elle investissements, technologies, soutien à l’international, et surtout, sans conditionner la construction d’infrastructures ou l’équipement militaire à des réformes démocratiques.
À l’image de Wolf Warrior 2, cette superproduction nationale au succès monstrueux, où un « Rambo » chinois, animé de belles valeurs humaines et patriotiques, sauve l’Afrique des Occidentaux corrompus et protège ses compatriotes expatriés.
L'exemple le plus parlant est le projet « One belt, one road », les « Nouvelles Routes de la Soie » auxquelles seront consacrées un article à part entière. Xi Jinping veut à la fois réduire les inégalités territoriales et redynamiser l’Ouest de la Chine, et réussir un bouleversement extraordinaire des dynamiques spatiales et des rapports de force en Eurasie.
Comment vendre une dictature aux démocraties
La « pensée Xi » fait de la « cohabitation harmonieuse » entre l’homme et l’environnement l'un des combats-clés du Parti. Cela fait des années que le régime s’inquiète de voir la population se soulever dans les villes où le smog devient la norme, dans les campagnes où les désastres écologiques s’accumulent.
En promettant « une belle Chine », Xi érige l’écologie en enjeu majeur de la renaissance chinoise, et donc en preuve de l’action vertueuse du Parti.
Au vu de l’ampleur des efforts consentis ou planifiés en faveur de l’environnement, se pose la question de savoir si le modèle de transition vers une croissance durable ne sera pas porté par une dictature, libre de forcer ses objectifs…
C’est un autre point du message que Xi veut vendre au monde : non seulement bâtir la Chine puissante, prospère et heureuse se fera sans aucune libéralisation politique, mais l’autoritarisme politique sera revendiqué et assumé.
Xi Jinping ne propose pas de modèle chinois, mais veut que la Chine vante sa « solution ». Inutile de s’étendre sur le fait que l’Occident en cherche désespérément.
Xi n'hésite pas à se projeter dans l'après-pouvoir, comme le montre l'exemple du projet One Belt One Road. Espère-t-il que sa « pensée » serve dans les prochaines décennies à remettre en cause les principes (démocratie, État de droit, liberté politique et économique) si fragiles que les nations libres auront à défendre face aux dangers du XXIe siècle ? Il y a la « pensée »de Xi, et il y a l'action du Parti à l'étranger. Or, l'Europe est l'une des cibles prioritaires de la stratégie d'influence chinoise. Un danger qu'il nous faudra tôt ou tard dénoncer et combattre...