En 2019, anticiper les risques pour faire face aux crises

En 2019, anticiper les risques pour faire face aux crises

Un tour d'horizon des risques géopolitiques et économiques qui pourraient naître, voire se matérialiser, en 2019.

L’Histoire n’est pas linéaire : elle connaît parfois des phases d’accélération, dont les contemporains sont souvent conscients mais dont ils ne saisissent pas forcément l’ampleur. Quand on lui demandait à la fin du XXe siècle son jugement sur les conséquences de la Révolution française, Zhou Enlaï répondait qu’il était…trop tôt pour en parler. En effet, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives des bouleversements de notre époque. Mais en ce début d’année 2019, nous sommes désormais certains de vivre une période charnière, avec cette particularité que l’Histoire devient véritablement universelle. Une période charnière conduisant à quoi, difficile de le savoir tant les motifs d’inquiétude et les raisons d’espérer se croisent. La seule chose sûre est que les événements de ces dernières années nous ont appris qu’il fallait penser l’impensable, et ne céder ni aux analogies faciles (telle la tentation de crier au retour des années 1930), ni au court-termisme qui empêche de voir plus loin que le feu de l’actualité. Sur le temps long, la révolution technologique et le défi écologique seront sans doute les deux enjeux décisifs de notre siècle : la redéfinition de nos modèles de civilisation et de notre rapport au vivant, à l’aune de ces bouleversements uniques dans un millénaire, éclipseront bientôt les considérations politiques actuelles.

Mais avant cela, des enjeux bien plus classiques se profilent. Visionnaire, Tocqueville écrivait il y a 170 ans : « il n'y a au monde que le patriotisme, ou la religion, qui puisse faire marcher pendant longtemps vers un même but l'universalité des citoyens ». Tout montre que les passions collectives, nationales ou religieuses, redeviennent le principal moteur de l'Histoire, accompagnant le retour de la violence de masse. Alors que les élites dominantes ont annoncé le dépassement de l’État-nation, la disparition du phénomène guerrier et l’inéluctable pacification du monde selon les critères occidentaux, il apparaît que la géopolitique commande de plus en plus le politique, sur fond de résurgence des ambitions impériales, des risques sécuritaires et des antagonismes de puissance. De l’autre côté, les leçons des crises économiques précédentes sont loin d’avoir été pleinement intégrées ; les risques de secousse financière ou de choc sur l’économie réelle gagnent en nombre et en dangerosité. En 2019 s’accumulent ainsi les signes de gros temps : les menaces de tempête économique ou géopolitique peuvent se concrétiser dès cette année ou se mettre en place pour la décennie qui s’ouvre.

La France est malgré toutes ses difficultés intérieures en mesure de contrer aux menaces qui pèsent sur sa sécurité, sa cohésion nationale et son contrat social si endommagés, mais elle est extrêmement vulnérable face aux risques économiques qui s’annoncent. L’Union européenne, qui connaîtra cette année des élections décisives et (sauf retournement de situation) le départ du Royaume-Uni, est en première ligne. « Winter is coming », assène une série qui se terminera cette année et en aura beaucoup dit sur notre propre époque. Il nous faut d’urgence nous préparer aux dangers qui pointent à l’horizon.

2019, année de risques géopolitiques

L’année 2018 avait vu les puissances autoritaires d’Asie se réunir à Qingdao au moment où les Occidentaux étalaient leurs divisions dans un G7 chaotique à la Malbaie. Elle s’était close sur l’opération Vostok 2018, étalage de puissance sino-russe en Extrême-Orient, et sur la quasi-marginalisation des puissances occidentales dans les négociations sur l’avenir de la Syrie. Tout porte à croire que 2019, qui s’est symboliquement ouverte sur l’accession d’un apologue de la dictature militaire à la tête d’une des plus grandes démocraties du monde, le Brésil, sera une nouvelle année de déconsolidation démocratique à travers le globe. Mais ce sont surtout les menaces extérieures pesant sur les démocraties européennes qui vont nous intéresser, en particulier celles émanant de régimes autoritaires avérés.

Le poids grandissant en Europe de Xi Jinping – qui a inauguré 2019 en menaçant dès le 2 janvier d’utiliser un jour la force pour réunifier Taïwan à la Chine populaire – se ressentira encore plus fortement cette année. On observe déjà que la dépendance économique de la Grèce, du Portugal ou de la Hongrie vis-à-vis de la Chine se mue en dépendance politique, qui les oblige à défendre les intérêts de Beijing face à ceux de l’Union européenne. Le débat des prochaines élections européennes évoquera forcément le besoin d’une UE forte face aux géants chinois et américain, mais nous avons aussi besoin d’alerter sur le rôle grandissant de la Chine de Xi dans un Vieux Continent qui n’ose se défendre !

Recep Tayyip Erdogan, dont les Occidentaux prédisent la chute depuis des années (après l’avoir perçu comme un réformateur modéré au début de son règne il y a 16 ans), est beaucoup plus assuré de son pouvoir qu’il n’y paraît. Qu’importent les conséquences qu’auront les difficultés économiques de la Turquie sur sa popularité, le Reis s’ingérera dans les élections européennes de cette année de la même manière qu’il retourne la diaspora turque d’Europe contre ses pays d’accueil, infiltre partis politiques et ONG, soutient les réseaux islamistes, excite les tensions communautaires. L’Europe est appelée à renforcer ses partenariats stratégiques avec la Turquie, mais en 2019, il lui faut enfin faire face à la démocrature d’Erdogan !

S’il ne faut pas exagérer la « menace russe » et rendre Moscou responsable de tous les troubles politiques en Occident comme le font certains, gageons que le Kremlin amplifiera cette année sa véritable guerre hybride mêlant ingérence électorale et propagande déstabilisatrice, informatsionaya voyna (guerre de l’information) et dezinformatzia (désinformation), assortie d’actes de cyberguerre et d’intimidations militaires sur les frontières orientales et nordiques de l’Union européenne. Tout juste 5 ans après l’annexion de fait de la Crimée et du Donbass et 5 ans avant son supposé départ du pouvoir, Vladimir Poutine sera cette année un acteur clé dans la gestion (ou la précipitation) des risques qui concerneront l’Europe et la France. La Russie et l’Europe ont vocation à se rapprocher et à dépasser leurs antagonismes souvent excités par des intérêts étrangers, mais ce rapprochement a peu de chances de se faire en 2019.

Les risques stratégiques sont également légions. Malgré sa défaite territoriale au Levant, Daesh reste solidement implanté dans d’autres régions du monde et conserve ses moyens d’action en Europe ; plus largement, la menace du terrorisme islamiste n’est en rien diminuée. Le réarmement du monde, à la fois cause et conséquence de tensions internationales qui ne risquent pas de s’apaiser cette année, se poursuivra en 2019. Les échéances électorales de 2020 inviteront cette année le Président américain à persévérer dans sa destruction de l’ordre international libéral et la remise en cause des alliances et organisations transatlantiques dont l’Europe aura besoin tant qu’elle ne se donnera pas la volonté et les moyens d’une indépendance vis-à-vis de Washington.

Malgré la remontée en puissance de nos armées qu’autorisera la Loi de Programmation militaire 2019-2024, notre outil militaire ne pourra pas se remettre en 2019 des choix politiques désastreux des 25 dernières années. En 2019, nous aurons toujours une armée des « dividendes de la paix » dans l’incapacité matérielle de faire face à d’éventuels coups durs, alors que la probabilité de conflits ouverts de haute intensité dans les prochaines décennies est de plus en plus forte. Sur le plan européen, les progrès en termes de coopération (notamment industrielle) doivent impérativement être poursuivis cette année, mais le succès prévisible des eurosceptiques aux prochaines élections risque de refroidir les ambitions des États.
« Il faut réveiller les consciences endormies. Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire », disait René Girard. Nos dirigeants, soucieux d’apaiser l’opinion, n’osent mettre en garde contre des risques face auxquels ils cultivent le déni. Or, les risques sont aussi nombreux sur le plan économique. En voici quelques uns.

2019, année de risques économiques

Nous avons célébré l’an dernier les dix ans de la crise financière partie des États-Unis ; nous fêterons cette année les dix ans de ses répercussions dans l’économie réelle, qui ont fait de la récession mondiale de 2009 la pire depuis l’après-1929. Certes, la santé économique mondiale est bonne et beaucoup d’indicateurs sont encourageants. Si les États et acteurs privés n’ont pas mis en place tous les mécanismes nécessaires pour éviter la répétition de la dernière crise financière, les leçons de celle-ci ont été bien intégrées par beaucoup de décideurs publics et privés qui guettent les signes avant-coureurs d’une prochaine secousse. Mais en 2019, les risques économiques sont nombreux, sérieux, dangereux.
Tout d’abord, ceux liés aux choix politiques. Ainsi, la guerre commerciale initiée par Trump peut non seulement regagner en intensité, mais aussi occasionner des dégâts à l’échelle internationale sur l’investissement ou le climat des affaires, tandis que d’autres pays peuvent adopter à leur tour des mesures protectionnistes qui plomberaient le commerce mondial. Autre enjeu, les politiques suivies par les banques centrales et les autorités de régulation pour relancer l’économie après le choc de 2008-2009 touchent à leur fin. La Fed américaine engage une remontée progressive de ses taux d’intérêt tandis que la BCE met fin à sa politique accommodante, dont le quantitative easing, qui avait permis de relancer la zone euro (qui montre des signes de ralentissement économique ces derniers mois) ; la remontée du pétrole et de l’euro vient clore une situation favorable de 5 ans pendant laquelle ni François Hollande ni Emmanuel Macron n’en ont profité pour conduire d’indispensables réformes.

La France et l’Europe sont aussi confrontées à des risques liés aux dettes publiques et privées. Une prochaine secousse pourrait partir de l’Italie qui, endettée à plus de 130%, pèse pour 15% du PIB de la zone euro et pour 23% de sa dette totale ; la faillite de ce pays, actuellement dirigé par une coalition démagogue, aurait des conséquences inimaginables pour l’économie européenne. Elle pourrait sinon partir des États-Unis. Trump a engagé des baisses d’impôt et des hausses de dépense massives sur une économie en plein-emploi, creusant dangereusement le déficit, et est revenu sur les ébauches de régulation financière qu’Obama avait instaurées pour éviter que ne se répète la crise des subprimes. Au-delà d’une Amérique en voie de surendettement, la Chine elle-même présente des risques. Certes, son énorme dette appartient aux Chinois eux-mêmes. Mais les mesures prises par les autorités pour limiter l’addiction au crédit et à l’endettement privé incitent de nombreux acteurs à se tourner vers la finance de l’ombre, tandis que la politique impériale de Xi Jinping coûte cher.

Au niveau mondial, la dette des pays développés comme émergents a considérablement grimpé depuis 10 ans. Les États manquent de marges de manœuvre budgétaires et monétaires pour faire face comme ils l’ont fait il y a 10 ans. Quant à la BCE, elle a presque épuisé les siennes en instaurant pendant plusieurs années des taux négatifs. Les banques et assurances notamment ont retenu certaines leçons de la crise et sont mieux capables d’encaisser de nouveaux chocs, mais le manque de marges de manœuvre du politique est très inquiétant. L’Allemagne et les pays du Nord, qui ont maîtrisé et fait reculer leur endettement public et renforcé leur compétitivité (en accroissant parfois comme en Allemagne le nombre de travailleurs pauvres et de retraités précaires) sont mieux préparés à faire face. En cas de choc financier, Berlin, qui est en mesure de mener des politiques contracycliques à la différence de Paris, risque donc de creuser l’écart avec une France qui serait elle grièvement affaiblie ; de quoi doucher pour longtemps le rêve de faire à nouveau de notre pays la première puissance d’Europe.

2019, année de transition ?

Les fins de décennie coïncident souvent avec des fins de cycle ou d’ordre établi. Les dates se terminant par « 9 » sont des accoucheuses historiques. La France moderne a connu deux basculements déterminants en 1559 avec l’ouverture des Guerres de Religion et bien sûr 1789 avec le déclenchement de notre Révolution. L’Europe a changé de visage avec les traités de 1919, cinq ans après le suicide collectif de la Grande Guerre, matrice du XXe siècle. Le krach américain de 1929 a vite précipité la montée des forces qui ont débouché sur le volet européen du second conflit mondial en 1939. L’Europe en ruine est devenue le théâtre de la Guerre froide en 1949 ; les États-Unis ont définitivement prouvé qu’ils avaient supplanté l’Europe aux avants-postes de l’aventure humaine en 1969 en posant le pied sur la Lune. L’année 1979 a vu un bouleversement géopolitique au Moyen-Orient qui nous concerne toujours, entre la révolution islamique en Iran, l’entérinement définitif des accords de Camp David et l’intervention fatale de l’URSS en Afghanistan, mais aussi le coup d’envoi de la mondialisation contemporaine entre le décollage de la Chine avec Deng Xiaoping et le tournant « néolibéral » incarné par l’accession aux responsabilités de Margaret Thatcher et Paul Volcker. L’Europe a retrouvé son unité et sa liberté avec l’effondrement du communisme en 1989 pendant que la Chine écrasait dans le sang les espoirs d’une démocratie universelle. Le monde a plongé en 2009 dans une crise dont nous payons toujours les conséquences, y compris politiques.

L’année 2019 passera-t-elle à la postérité comme celle d’une rupture nette, à l’instar de 1789 ? Ou plutôt comme la rencontre de tendances de fond amenées à bouleverser le monde et dont nous ne comprendrons l’importance qu’a posteriori, comme en 1979 ? Sans doute les historiens verront-ils dans la fin des années 2010 une transition, dont ils situeront peut-être l’acmé en 2019.

Quoiqu’il en soit, il nous faut apprendre à penser la politique par gros temps.

Aurélien Duchêne
20 ans, étudiant
Directeur Adjoint du projet d'Objectif France