Pourquoi nous avons besoin d'une TVA sociale : argumentaire concret (4/09/17)
Considérée à tort comme injuste, antisociale et contre-productive, la TVA est un impôt honni. Pourtant, l'augmenter contre des baisses de charges d'un montant équivalent contribuerait à renforcer notre compétitivité sans creuser le déficit public.
Considérée à tort comme injuste, antisociale et contre-productive, la TVA est un impôt honni. Pourtant, l'augmenter contre des baisses de charges d'un montant équivalent contribuerait à renforcer notre compétitivité sans creuser le déficit public.
Sur le plan budgétaire, le Gouvernement s'enferme dans le dilemme de l'âne de Buridan : à force d'hésiter entre commencer par étancher sa soif avec un seau d'eau et calmer sa faim avec un seau d'avoine, l'âne finit par mourir des deux.
Il faut à tout prix tenir les engagements de réduction du déficit d'ici la fin de l'année, mais également baisser la pression fiscale dans certains secteurs, ou investir dans les domaines d'avenir (la Défense en faisant bien sûr partie), ce qui conduit le pouvoir en place à revenir sur ses promesses de campagne et à sacrifier l'avenir, tout en évitant le plus possible de devoir assumer des choix impopulaires face aux électeurs.
Une situation qui prévaut quasi-systématiquement depuis une trentaine d'années.
Sur le plan politique, l'équation paraît insoluble. Si l'on adopte un raisonnement économique scientifique, une mesure de bon sens saute pourtant aux yeux : l'augmentation de la TVA. Une idée qui suscite des levées de boucliers à chaque fois qu'elle est mise sur la table, tant les idées préconçues sur cet impôt assez impopulaire sont légions.
Il y a urgence à sortir de ce genre de postures, dans l'intérêt du débat, et surtout dans celui de l'économie française.
Voici les trois idées les plus répandues sur la TVA : ces poncifs, si on leur donne l'apparence des faits, tiennent plus de la mauvaise foi politicienne que du raisonnement économique.
« La TVA est trop élevée »
En France, depuis le 1er janvier 2014, le taux normal de TVA s’élève à 20%, le taux réduit (ou intermédiaire) à 10%, le second taux réduit (ou super-réduit) à 5,5%. Un taux particulier à 2,1% s’applique dans de très rares cas. Comparés à nos voisins, les taux de TVA français sont en réalité plutôt bas.
Dans les pays scandinaves, la générosité du système social et l’effort de transition énergétique sont financés par un taux de TVA élevé pour compenser la faiblesse des charges qui pèsent sur le travail et l’investissement. Ainsi, le Danemark pratique un taux unique de 25% avec quelques dérogations (notamment des franchises de TVA). En Suède, les montants sont de 25% pour le taux normal, avec un taux intermédiaire à 12 et un taux réduit à 6.
« Oui, mais ces pays ne sont pas dans la zone euro » : la Finlande, au modèle économique proche de ses voisins nordiques, pratique des taux de 24, 14 et 10%.
Si en Allemagne, les taux sont pour le moment inférieurs à ceux de la France (19 et 7%), c’est parce que le taux réduit de 7% concerne beaucoup moins de produits, et il existe beaucoup moins de niches fiscales ou de dérogations outre-Rhin.
« La TVA pèse sur les plus pauvres »
La TVA est en théorie un impôt injuste : bien qu’en valeur absolue, les ménages contribuent selon leur revenu en payant une TVA plus lourde si leurs revenus les autorisent à consommer des produits plus onéreux, il est vrai qu’elle n’est pas proportionnelle à la réalité des inégalités.
Injuste, la TVA l’est aussi parce que son assiette n’englobe pas l’épargne, les pensions et les retraites, à la différence de la CSG pour prendre un exemple comparable.
Cependant, les charges pesant sur les entreprises pénalisent, indirectement mais de manière bien plus forte, le pouvoir d’achat. Au même titre que la CSG qui impacte directement les salaires.
Les multiples taxes (versement transport, cotisations FNAL, contribution apprentissage, etc.) qui pèsent pour plus de 15 milliards sur le secteur marchand contre 2 milliards en Allemagne, ont également une répercussion sur les prix. Les cotisations sociales, que ce soient les cotisations retraite, maladie, famille ou accident du travail, impactent directement le salaire net, de même que les cotisations UNEDIC.
Et malgré les mesures en faveur des bas salaires, elles pénalisent largement les salaires en-dessous de 1,8 SMIC. La TVA ne pèse donc pas spécialement sur les plus pauvres, et elle est loin d’être responsable du tassement du pouvoir d’achat.
La TVA a un autre avantage : les touristes la paient ! Il y a eu à peu près 83 millions de visiteurs étrangers en France hexagonale (préférons ce terme à celui de "métropolitaine") en 2016 ; pourquoi se priver d'une telle manne dans le financement de notre système social ?
« Augmenter la TVA conduirait à une hausse des prix et casserait la croissance »
Dans la situation actuelle, la TVA pourrait aisément être augmentée car l’inflation est nulle et ne risque pas de décoller avant des années.
De plus, les lois de la concurrence, même en période d’inflation soutenue, empêcheraient de compenser une hausse de la TVA par une augmentation des prix.
Par "lois", j'entends également les lex non scriptae auxquelles se soumet le secteur marchand. Cependant, l’inflation risque de redémarrer (légèrement) à partir des trois ou quatre prochaines années : c’est donc au cours du quinquennat actuel qu’il faudrait se résoudre à augmenter la TVA, que ce soit pour servir une politique de rigueur ou de relance.
À propos de concurrence : la TVA concerne les produits importés. Dans la situation commerciale actuelle, l’augmenter revient à favoriser la consommation locale et les entreprises exportatrices françaises. En plus de réduire notre déficit budgétaire, cela participerait au rééqulibrage de notre balance commercial, en déficit structurel depuis une éternité.
Alors que l’investissement repart enfin mais de manière fragile et toujours insuffisante, mieux vaut augmenter la TVA qui ne pèse ni sur l’épargne ni sur l’investissement et qui a le mérite d’être stable, la constance fiscale étant l’un des principaux éléments recherchés par les investisseurs (notamment étrangers).
La période actuelle est particulièrement favorable à une hausse de la TVA
Le timing est en effet excellent. Certains pays ont fait l'erreur d'augmenter la TVA en début de reprise économique (comme le Japon en 2014), d'autres alors qu'ils étaient en pleine récession (la France lors du Plan Juppé de 1995, la Grèce au début des années 2010), ce qui a déstabilisé l'activité. Dans notre situation actuelle, la reprise se consolide bien qu'elle reste modeste. D'ailleurs, nos entreprises reconstituent des marges (encore trop faibles), et sont désormais en mesure d'encaisser une augmentation de la TVA. En effet, les entreprises absorbent une telle hausse de la fiscalité indirecte en comprimant leurs marges.
Divers économistes, think tanks de Droite ou de Gauche et chefs d’entreprise estiment qu’une hausse de 2 points des taux normal et intermédiaire (qui passeraient respectivement de 20 à 22 et de 10 à 12%) rapporterait de 14,5 à 18 milliards d’euros.
Une telle augmentation n’aurait pratiquement aucune répercussion (et donc quasiment aucun impact sur la croissance), mais une baisse des charges pesant sur le travail et le capital redonnerait elle assez de profitabilité aux entreprises même en cas d’augmentation de la TVA. En plus de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat, une baisse des cotisations salariales pour augmenter le salaire net compensée par une hausse de TVA serait même rentable pour l’État. À court terme, mais également à moyen terme du fait d’une hausse de la consommation.
Autre avantage. Comme vu plus haut, la TVA ne pèse pas sur l’investissement : s’il y a urgence à attirer davantage d’investisseurs étrangers, l’un des enjeux – pour la Droite comme pour la Gauche – des prochaines années doit être de bâtir un capitalisme français, et donc de favoriser le financement de l’économie réelle par des capitaux français.
Jusqu’où peut-on aller ?
En tenant compte des habitudes de consommation et des marges des entreprises, la TVA peut être « facilement » augmentée jusqu’à 3 points pour les deux taux supérieurs, rapportant au total 23 à 27 milliards d’euros.
Au-delà de ce seuil de 3 points, une hausse supplémentaire sur cinq ans serait effectivement dangereuse pour la consommation.
Une autre piste serait de supprimer le taux réduit de TVA sur les travaux de rénovation (3,8 milliards d’euros), celui dans la restauration (2,5), et le taux super réduit sur les médicaments (2,4), mais ces dispositifs ont fait leurs preuves. En revanche, ils pourraient être supprimés en cas d’une hausse de l’investissement public ou d’une politique de simplification drastique des normes et réglementations.
En définitive, la TVA est loin d’être trop élevée comparée aux pays européens dont le modèle est proche du nôtre, elle ne constitue pas un facteur de paupérisation, les touristes la paient, et elle peut être augmentée sans dommages du fait de la nullité de l’inflation et des lois de la concurrence. Dans le contexte actuel, augmenter la TVA est une solution pour baisser la fiscalité ailleurs ou pour financer de nouveaux investissements publics, sans creuser le déficit.
Si aucun impôt n’est indolore et sans conséquences sur le pouvoir d’achat ou l’investissement, cette option constitue l’un des meilleurs compromis.
C’est également un choix de société : remettre en cause une croissance passive qui repose avant tout sur la consommation interne.
Dès cette année, nous pourrions inscrire dans une loi de finances rectificatives (PLFR) une hausse de deux points des deux taux principaux, ce qui est largement faisable à condition d'en faire la pédagogie.
Les 15 milliards d'euros que rapporterait une telle hausse pourraient en partie servir à financer la hausse des budgets régaliens, ainsi que celui du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.
Ou permettre la réduction du nombre de taxes pesant sur le secteur marchand, ou être entièrement consacrés à la réduction du déficit public.
La France pourrait se fixer un objectif de long terme : financer en 2025 notre modèle social avec des taux normal, intermédiaire et réduit de 25, 15 et 10%. Ou oser mettre en place une TVA modulée, obéissant à des critères de patriotisme économique (français et européen), de protection de l'environnement, de "marque emplois" ? Ouvrons le débat !